CRITIQUE DE LA PIÈCE MA(G)MA DU COLLECTIF CASTEL BLAST
Texte : Karine Tessier
Au moment où les spectateurs prennent place dans les gradins, la pièce est déjà commencée. Un jeune garçon s’amuse en silence, assis sur le sol. Se met à défiler derrière lui, sur un écran noir, une suite de remerciements du collectif Castel Blast, de Jean-Paul Sartre à Walt Disney, en passant par le basketteur Lebron James et Céline Dion.
L’enfant se lève et s’éclipse. Entrent un à un sur la scène une vingtaine d’hommes au torse nu qui s’avancent, en regardant le public dans le blanc des yeux. Dans les premières minutes, ils esquissent des gestes lascifs, qui deviennent de plus en plus frénétiques. Les yeux des acteurs défient l’assistance, à mi-chemin entre la tentative de séduction arrogante et la provocation en duel. Ils se frappent, ils font des pompes au sol, ils transpirent. Après une montée dramatique d’une intensité presque insoutenable, le tableau prend fin, alors qu’une gracile jeune femme marche parmi les hommes et devient l’objet de leur convoitise.
D’autres filles rejoignent les gars. Nous sommes maintenant dans un bar, véritable meat market. La chasse est ouverte. Les deux sexes s’observent, se courtisent, se rapprochent. Les corps choquent et s’entrechoquent. La danse vire presque à l’orgie, avant que tous se laissent choir au sol, sorte de repos après l’amour.
Les scènes se succèdent, offrant aux spectateurs un ballet brut, instinctif sur le passage de l’enfance à l’âge adulte. Un conte aussi sensible que robuste, qui se clôt sur un fouillis inextricable d’émotions et de souvenirs, vécus par une quarantaine de personnages animés par des pulsions de vie et de mort.
Pour ouvrir sa saison, le Théâtre Espace Libre ose avec Ma(g)ma, dont l’écriture scénique, la mise en scène et la chorégraphie sont signées par le collectif Castel Blast, qui rassemble Olivia Sofia, Léo Loisel, Xavier Mary et Guillaume Rémus. Le spectacle, présenté jusqu’au 10 septembre, a d’abord vu deux de ses étapes de création être présentées à Zone Homa à l’été 2015, puis au OFFTA au printemps dernier.
Né il y a à peine un an, le quatuor mise d’abord sur les ambiances pour bousculer le public, l’émouvoir et le faire réfléchir. Il y a une économie de mots dans Ma(g)ma. Le voyage initiatique qu’on nous présente se fait surtout en gestes et en musique. Les acteurs tracent une succession de mouvements tantôt enveloppants, tantôt menaçants, mais toujours 100 % puissants. La chorégraphie se déroule sur des rythmes hypnotiques, rappelant par moments les pulsations cardiaques, diffusés par un système de son ambiphonique, qui permet aux mélodies d’entourer les spectateurs.
Castel Blast explore dans sa dernière création les thèmes toujours pertinents de la vie, de la mort, de l’amour et du sexe, sans chercher de réponses précises aux questions que se posent les hommes et les femmes, de la genèse à la création de Tinder.
Cette abstraction confère à la pièce une portée universelle. À l’instar des personnages du spectacle, le public est invité à s’interroger sur sa propre perte d’innocence, ce point de non-retour où on prend connaissance de l’influence, du pouvoir qu’il est possible d’exercer sur ses semblables. Ma(g)ma, c’est un rendez-vous avec sa propre violence, en compagnie d’un groupe d’artistes dont on ne peut que tomber amoureux.
Pour toutes les infos sur la pièce Ma(g)ma, présentée au Théâtre Espace Libre : www.espacelibre.qc.ca/spectacle/saison-2016-2017/magma