Texte : Karine Tessier

Sophie Desmarais et François Arnaud. Photo : IXION Communications.

Avec La Switch, son deuxième long métrage, le réalisateur et scénariste canadien Michel Kandinsky a choisi de raconter le retour au bercail du caporal Marc Leblanc, un tireur d’élite, dans une petite bourgade du nord de l’Ontario, mais surtout ses efforts pour tenter de retrouver une existence paisible, loin des champs de bataille. Avant sa sortie en salle, le 11 novembre, jour du Souvenir, l’œuvre a été présentée lors de la 28e édition du Festival de films francophones CINEMANIA. Fragments Urbains y a rencontré les acteurs François Arnaud et Sophie Desmarais, interprètes de Marc et de Julie, qui partagent la vedette avec Roch Castonguay et Lothaire Bluteau, afin de discuter entre autres de la genèse du projet, des défis rencontrés lors du tournage, ainsi que des conséquences tragiques de l’incapacité de communiquer.

Le parcours vers les écrans de cette nouvelle proposition de Michel Kandinsky a été sans aucun doute sinueux. « Il s’est écoulé plusieurs années entre le moment où j’ai reçu le scénario et celui où on a tourné le film, il y a deux ans. J’ai donc eu beaucoup de temps pour me préparer, ce qui est un véritable luxe. J’y ai longtemps réfléchi », explique François Arnaud, pour qui le réalisateur et scénariste a écrit le rôle de Marc Leblanc. Des mois à lire des bouquins, faire des recherches, rencontrer aussi des militaires qui sont allés en mission à l’étranger. Et à peaufiner le scénario.

Photo : Peter Andrew Lusztyk.

Désir d’authenticité

Au départ, La Switch devait être joué en anglais. Mais puisque peu de longs métrages sont tournés en français hors des frontières du Québec, le cinéaste y a vu une opportunité. « C’était alors vraiment important pour moi qu’on parle avec l’accent authentique de cette région du nord de l’Ontario, afin que ce soit crédible », confie le comédien québécois. « On tenait à ce que les gens de l’endroit se sentent représentés. Il a fallu trouver une personne ressource pour nous épauler et on a rencontré Julie, de Timmins. Le processus a duré deux mois, à coups de conversations sur FaceTime, explique Sophie Desmarais. Tout ça, dans le but d’arriver sur le plateau avec une liberté de jouer, sans se sentir contraints par l’accent. Je me suis d’ailleurs en partie inspirée de Julie dans la création de mon personnage. »

Bien que la serveuse qu’elle interprète, aussi prénommée Julie, ne soit présente que dans quelques scènes, l’actrice a rapidement été séduite par le projet. « C’est François, avec qui je suis amie depuis notre sortie de l’école, qui m’a approchée le premier. Par la suite, j’ai rencontré Michel, le réalisateur, et je l’ai beaucoup aimé. Je trouvais son approche très radicale, ce qui me plaît en général, peu importe les sujets qui sont abordés, poursuit la comédienne. Ce n’est pas un gros rôle, mais Julie sert un peu de contrepoids dans l’histoire. C’est un esprit libre. J’ai tout de suite apprécié sa force, doublée d’une insouciance, peut-être d’une inconscience, par moments. Je trouve ça le fun d’incarner des femmes qui s’assument! Elle amène une certaine légèreté, une énergie qui tranche avec celle des autres protagonistes. »

Photo : Peter Andrew Lusztyk.

Douleurs enfouies

En effet, le climat dans lequel baigne le long métrage est on ne peut plus morose, voire délétère. Marc, son père et son frère, qui ont aussi servi avec les Forces armées, taisent leurs souffrances, tant physique que psychologique, tentant d’éviter d’effrayer leur entourage ou, tout simplement, parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir fermer les valves, une fois celles-ci finalement ouvertes.

« Le grand défi était de faire un personnage intérieur, réprimé, qui a tellement de difficulté à s’exprimer et à sortir de sa coquille. En même temps, il n’est pas complètement hermétique pour le public. On est avec lui. Il y avait aussi un travail de direction photo, afin de faire une œuvre d’un point de vue subjectif, précise François Arnaud. J’ai essayé d’incarner Marc le plus honnêtement et simplement possible. Je n’étais pas du tout dans un effort de transmission, au contraire! C’était presque comme du jeu masqué. Comme si mon personnage utilisait son visage en guise d’accessoire derrière lequel se cacher. Il se passe tellement de choses, en dessous, mais l’idée était d’en montrer qu’une infime partie. »

Dans La Switch, de nombreuses séquences sont quasi méditatives. On observe Marc préparer le petit-déjeuner, s’exercer au tir dans le champ vaste qui entoure la résidence familiale, arpenter les petites rues de la modeste localité.

« C’était presque une impression de documentaire, en fait. Pour cette partie du long métrage, je n’étais pratiquement pas dirigé, j’étais laissé à moi-même. Michel était juste là en témoin, il captait mes gestes avec sa caméra », se souvient François Arnaud.

Un tournage particulier, qui comportait une part substantielle de solitude pour l’acteur, qui mentionne au passage que les 25 premières pages du scénario ne comportaient aucun dialogue.

Photo : Peter Andrew Lusztyk.

« Les premières semaines, on filmait les scènes où j’étais tout seul. Alors, quand d’autres comédiens sont arrivés, j’éprouvais un sentiment paradoxal, une sorte de joie de pouvoir partager ça avec quelqu’un, doublée d’une sensation d’être envahi, confie le comédien. À l’inverse, à mi-chemin pendant le tournage, il y a une scène avec Lothaire Bluteau à l’intérieur de la voiture, durant laquelle il dit ce que mon père pensait de moi. Ç’a été une scène très, très touchante à tourner. C’était ardu pour moi de retourner, pour les séquences suivantes, dans la répression, de me renfermer de nouveau. J’avais envie d’être ouvert! »

Cette immersion dans les méandres de l’esprit torturé du jeune retraité, peuplés de fantômes d’ennemis assassinés ou de collègues abattus, est cruelle, mais étonnamment douce et toujours sans jugement. C’est que La Switch est à des lieues des films de guerre auxquels nous a habitués Hollywood. Ici, point de séquences boostées à la testostérone pour dire les affres de la guerre. Les plus grands ravages sont intimes. Le caporal peine à comprendre ce qui lui arrive, alors que les flash-back sanglants se succèdent et qu’il perd peu à peu pied dans la réalité.

« Au cours de mes recherches sur le trouble de stress post-traumatique, j’ai compris que ceux qui en souffrent peuvent avoir des réactions trop minimes à de gros événements et, à l’opposé, des réponses excessives à des incidents banals. Des réflexes tout autant psychologiques que physiques. À ce sujet, le libre The Body Keeps the Score, de Bessel van der Kolk, m’a beaucoup aidé. C’est quelque chose de très primal, finalement », analyse le comédien.

Le silence des hommes

Cette incapacité à communiquer de la gent masculine n’est cependant pas l’apanage des anciens combattants. On a inculqué à des générations d’hommes que la virilité et la vulnérabilité étaient incompatibles, et que demander de l’aide était un signe de faiblesse.

« Julie pose plein de questions à Marc, sur ce qu’il a vu en Afghanistan, ce qu’il a fait au combat, par exemple. Elle est curieuse, elle va vers l’autre, alors que les personnages de Marc et de son père sont incapables de le faire, explique Sophie Desmarais. Ce que j’aime du film, c’est que plutôt que de les élever en héros, on montre qu’ils ont de la misère, qu’ils en arrachent. Mais même s’ils n’arrivent pas à se le dire, on sent qu’ils s’aiment. »

Cette illustration d’une communication morcelée et d’une affection tue entre hommes confère à La Switch une portée universelle, qui va bien au-delà des impacts funestes de la guerre sur ceux qui ont été déployés.

« C’est vrai que, dans la société, les femmes sont victimes de la masculinité toxique. Mais les hommes eux-mêmes en sont, je pense, les premières victimes. Ça métastase, ça devient un cancer qui est transmis de génération en génération. Et, évidemment, quand tout ce qu’on connaît comme moyen de s’exprimer, c’est la rage, c’est de cette façon que ça sort, avec violence », explique François Arnaud.

La Switch, de Michel Kandinsky, est en salle depuis le 11 novembre 2022 et sera également disponible sur la plateforme Crave à compter du 13 novembre 2022.

Pour toutes les infos, c’est ici.

Texte : Véronique Bonacorsi

Je ne suis pas blonde. Ni Blanche. Je n’ai pas grandi dans les riches banlieues californiennes comme Barbara Millicent Roberts (alias Barbie). Pourtant, la vague culturelle provoquée par le prochain film qui semble envahir la planète en entier m’a fait réaliser que… j’étais Barbie.

Ce jouet américain né à la fin des années 1950, incontournable de mon enfance, a joué un rôle vital dans le fleurissement de ma personnalité. Barbie faisait partie du quotidien de toutes les filles de mon âge qui m’entouraient et je n’ai pas su résister à la fièvre rose et blonde (la plupart du temps). Avec un plaisir parfois obsessif, je l’habillais, la déshabillais, un peu gênée par son corps nu pas totalement sexué. Je l’envoyais à des rendez-vous galants avec Ken (lire ici : je les tenais côte à côte dans des tenues assorties) sans comprendre encore les complexités relationnelles. Je la faisais relaxer dans sa luxueuse maison de rêve, dont l’hypothèque, si elle existait dans la vraie vie, ferait frissonner la femme que je suis aujourd’hui. (Sans doute que l’ajout d’un toboggan partant de la chambre à coucher fait exploser la valeur immobilière.) Et par toutes ces actions ludiques, enfantines, j’ai absorbé l’essence même de ma poupée.

Sans surprise, Barbie a longtemps été perçue comme un simple divertissement réservé aux petites filles : elle est jolie, elle a plein de vêtements et, oui, c’est une fille. Donc, un peu comme une arrière-pensée, mes parents ont gonflé peu à peu ma collection d’une variété de déclinaisons : Barbie princesse, Barbie popstar, Barbie de Noël… Je crois même avoir eu une Barbie « chinoise » qui m’a enfin fait sentir : « Enfin, une Barbie comme moi! » (Je ne suis pas exactement chinoise.)

Photo : Véronique Bonarcorsi

Derrière ce que l’on perçoit comme un symbole de frivolité – mot trop souvent associé à tout ce qui se rapporte au féminin –, je vois un univers d’optimisme et de possibilités. Barbie peut être une patineuse olympique. Elle peut aussi être une sirène, une infirmière, une golfeuse, la fée des dents! Ou juste porter une belle robe. Barbie peut tout faire, tout être. Y a-t-il donc une icône plus féministe?

Photo : Véronique Bonarcorsi

Juste en lisant les noms de l’équipe du long métrage, je comprends que le même esprit habite l’œuvre de Greta Gerwig. La réalisatrice et longtemps actrice est aussi la coscénariste du film. La vedette de Barbie, Margot Robbie, plus qu’un joli visage, remplit le rôle de productrice. Robbie, avec sa maison de production, LuckyChap, a poussé pendant des années la compagnie de jouets Mattel et toutes les différentes hautes instances pour la création de la version cinématographique de la poupée légendaire. L’actrice Issa Rae, qui incarne la Barbie présidente – rien de moins –, a créé, scénarisé, réalisé la série applaudie Insecure, dans laquelle elle tenait le rôle principal. Toutes des femmes et cerveaux créatifs devant comme derrière la caméra.

J’ai plus que hâte de voir ce que nous réserve l’événement cinéma de l’été. La campagne publicitaire promet déjà une aventure visuellement époustouflante, nostalgique, très fidèle à l’esthétique du jouet au fil du temps. Pour le look, je suis déjà complètement séduite (et les nombreux tapis rouges pour la tournée de presse ne font que mousser mon obsession).

Une fébrilité m’habite quant au traitement de l’effet polarisant de Barbie. Juste point de vue diversité, on ne peut pas dire que la poupée présente une fiche de sensibilité exemplaire. America Ferrera, qui joue le rôle d’une personne humaine dans Barbie, a elle-même vécu des problèmes d’identification à cette belle fille blonde caucasienne en grandissant. Mais la poupée s’adapte de plus en plus à l’ère du temps, reflète plus le monde réel qu’elle a pu le faire dans ses tout débuts. Et on décèle cette même volonté dans les bandes-annonces du film. La distribution regroupe des Barbie et des Ken de toutes les natures, de corps, d’origine et même de sexe. Juste la présence de Hari Nef, actrice et mannequin transgenre, est un bon signe de l’ouverture d’esprit du film.

Je sais, on dirait que j’ai été payée par Margot Robbie pour écrire une critique favorable de Barbie. J’aurais aimé. (Call me, Margot!) Le fait que j’écrive ces lignes constitue la preuve de la durabilité de ma fièvre rose de petite fille.

C’est quand j’ai lu l’article « Hello, Barbie! » dans le magazine Vogue que ma révélation est venue. Une citation de la costumière du film, Jacqueline Durran : « The key thing about Barbie is that she dresses with intention. » Hmm, qui d’autre fait ça? Eh bien… moi.

Mon entourage sait à quel point je m’applique dans mes tenues – je ne porte jamais ou rarement la même. Oui, j’ai une garde-robe folle et j’en retire une amusante fierté. Mon style s’adapte aux tâches à accomplir, l’environnement, la météo… et les agencements de couleurs reflètent mon « moi » à ce moment. Certaines occasions me poussent à réfléchir à ce que je vais mettre des semaines à l’avance. Le Toqué entre filles? J’ai la robe pour ça! Je vais prendre le temps de bien la choisir, par contre. Mais le plus souvent, j’agence naturellement mes ensembles en 20 minutes et moins.

Photo : Véronique Bonacorsi

Je me souviens d’être sortie dans un restaurant cubain avec une amie. Avant la soirée, je l’avais invitée à « s’habiller pour l’occasion », donc de se laisser inspirer par tout ce qui peut représenter l’ambiance d’un resto cubain selon elle. Elle m’avait répondu ne pas vouloir se déguiser. Curieux comme commentaire, ai-je pensé. Je ne crois pas qu’à la place de cette amie, Barbie aurait refusé cette opportunité de laisser libre cours à son imaginaire vestimentaire.

Et parce que Barbie peut tout faire, toutes les activités, tous les métiers, sa garde-robe contient tout, et encore plus. Elle n’est pas une seule chose. Elle est toutes les choses.

Je porte des robes et je regarde le hockey. J’aime les films de David Lynch, mais aussi les superhéros de Marvel. Je lis Jacques Lacan, comme le ELLE Québec. On n’a pas à se limiter.

Je suis Barbie. Tu l’es sûrement aussi.

Texte : Karine Tessier

La huitième édition du festival Longue vue sur le court débarque dans le Sud-Ouest de Montréal avec une nouvelle cargaison de courts métrages de fiction, documentaires et d’animation, du 23 au 27 novembre 2022. Au menu, plus de 70 œuvres, représentant 18 pays, dont 41 provenant du Québec et du Canada. L’occasion parfaite de découvrir des créations singulières de grande qualité, peut-être même avec les enfants, puisque quelques séances leur sont tout particulièrement dédiées. Fragments Urbains a visionné une partie du programme pour vous et vous parle de ses coups de cœur.

Piscine pro

Pour les amoureux de l’ironie et de l’humour absurde, Piscine pro est un must! On y retrouve le ton si particulier au scénariste et réalisateur Alec Pronovost, connu pour son travail sur les séries télé Le Killing, Complètement Lycée et Club Soly. Dans ce court, où brillent Louis Carrière et Alexis Martin, notamment, un bachelier en histoire, spécialisé en études sur les Vikings, s’ennuie à mourir dans un emploi de commis d’un magasin de piscines. Nul doute que ce petit film d’à peine huit minutes rappellera bien des souvenirs à ceux qui ont déjà occupé un boulot alimentaire, parachutés dans un domaine professionnel qui leur est totalement étranger.

III

Avec son premier court métrage, III, la scénariste et réalisatrice Salomé Villeneuve (la fille de Denis) attire l’attention, avec raison. Cette histoire de trois enfants qui entrent en conflit lors d’une sortie de pêche trouble, voire bouleverse. La jeune cinéaste souhaitait explorer, dans sa première œuvre, la faculté qu’ont les enfants d’aimer et de détester, parfois de façon soudaine. Dans ces jeux parfois cruels initiés par les petits, s’immisce par moments la violence, exprimée verbalement et physiquement. Un récit fascinant qui se déroule dans la beauté brute de la nature québécoise, mise en valeur par la superbe direction photo de Fred Gervais, qu’on connaît également pour son travail de photographe.

Suzanne & Chantal

Une création délicieuse que ce court métrage écrit et dirigé par la polyvalente Rachel Graton, dont on admire déjà les talents de comédienne et de dramaturge. Le film a d’ailleurs remporté le Prix du public de la compétition officielle au dernier Festival REGARD, à Saguenay. Dans cette fiction riche en surprises et en personnages truculents, Anne-Marie Cadieux et Béatrice Picard incarnent avec énergie deux complices tout sauf sages, qui partent en mission… dans un salon de coiffure! Une vue au rythme enlevant, qui célèbre l’amitié avec originalité. Dire qu’on aimerait retrouver ces femmes hautes en couleur dans un long métrage est un euphémisme!

La Théorie Lauzon

Cette nouvelle proposition signée Marie-Josée Saint-Pierre s’adresse autant aux fans invétérés du cinéaste Jean-Claude Lauzon qu’à ceux qui souhaitent le découvrir. Dans cet essai psychanalytique, on dresse le portrait de celui qu’on surnommait le « mouton noir » du septième art québécois, à l’aide d’archives, d’extraits de son œuvre et d’animation, sublimés par l’esthétique caractéristique de Saint-Pierre. La Théorie Lauzon se veut également une captivante et touchante réflexion sur l’identité et les relations père-fils. Le processus de création est définitivement l’un des thèmes de prédilection de la documentariste, elle qui nous a déjà proposé des courts sur le musicien de jazz Oscar Peterson, le cinéaste Claude Jutra, ainsi que l’animateur Norman McLaren. Un incontournable du festival.

La Guêpe

Dès les premières secondes de La Guêpe, on est happé par l’atmosphère anxiogène et la trame narrative énigmatique, accentuées par les mélodies d’une grande beauté signées Antoine Binette Mercier, avec l’incontournable Claude Lamothe au violoncelle. L’acteur et metteur en scène Marc Beaupré se révèle un réalisateur fort habile, avec ce premier effort, qui raconte le quotidien d’une propriétaire d’un motel plutôt crade, qui sera bouleversé par l’arrivée d’un inconnu. Dans le rôle titre, on retrouve avec bonheur Marie-France Marcotte, dont on a pu apprécier l’immense talent, cet automne, dans la série télé Avant le crash. Une performance magistrale, récompensée par un prix, à l’occasion du dernier Festival international du film Fantasia de Montréal. L’œuvre est également repartie avec le Prix du public – bronze, dans la catégorie du Meilleur court métrage québécois, lors de l’événement.

Little Berlin

Inspirée d’une histoire vraie, cette création de Kate McMullen raconte un pan de la vie dans un petit village allemand, pendant la Guerre froide. Et elle le fait d’une manière on ne peut plus inusitée… en racontant l’existence de Peter le taureau, marquée par la solitude, une fois que le rideau de fer le sépare de ses 36 concubines. En à peine un quart d’heure, l’œuvre réussit à nous faire rire aux éclats, autant qu’à nous émouvoir. Une proposition charmante, narrée de façon brillante par l’acteur Christoph Waltz.

Warsha

Un matin dans la vie de Mohammad, qui bosse dans la grue la plus grande et dangereuse de Beyrouth. Suspendu au sol, au-dessus des gratte-ciel, l’homme en profite pour assouvir ses désirs en laissant son esprit vagabonder. Dans ce court, la Montréalaise Dania Bdeir utilise la colorimétrie pour faire écho aux émotions de son personnage principal, d’abord étouffé par les conditions de travail difficiles et l’univers machiste des chantiers, puis libéré lorsqu’il se réfugie dans ses songes. La direction photo de Shadi Chaaban confère à l’œuvre une élégance indéniable. Dans le rôle de Mohammad, l’artiste multidisciplinaire Khansa offre une performance sensible, qui permet une réflexion nuancée sur la binarité, le genre et les limites de l’émancipation dans une société conservatrice. Tout ça au son de la musique de la légendaire Oum Khalthoum, considérée par plusieurs comme la plus grande chanteuse de l’histoire du monde arabe. Le film a remporté le prix du Meilleur court métrage international remis par le jury, cette année, au festival de Sundance. Un honneur amplement mérité.

Stranger Than Rotterdam With Sara Driver

Quelle histoire aussi surréaliste qu’hilarante que celle de Stranger Than Rotterdam With Sara Driver! Le court, signé Lewie et Noah Kloster, suit les péripéties de la productrice du deuxième film, culte, de Jim Jarmusch, Stranger Than Paradise, en 1982. On regarde pour la minutie de l’animation, le charisme de la protagoniste principale et parce qu’il s’agit assurément d’un des plus réjouissants behind the scene jamais proposés.

Partir un jour

Dans ce film mélancolique, mais empreint d’humour et de lumière, Amélie Bonnin nous raconte une histoire d’amour qui n’est jamais arrivée, ponctuée de chansons de 2Be3, Francis Cabret et Ménélik. Dans les rôles principaux, Bastien Bouillon et la chanteuse star Juliette Armanet sont terriblement charmants. On se régale tout autant du jeu de François Rollin, hilarant en père râleur. Une œuvre qui parlera à tous ceux qui, pour fuir l’ordinaire et réaliser leurs rêves, ont un jour quitté leur patelin pour la grande ville. Et qui ont réalisé tôt ou tard qu’aucun endroit n’est parfait et que la magie se trouve parfois là où on s’y attend le moins. Mention spéciale au générique, qui prend des airs de karaoké. Adorable.

Pour toutes les infos sur le festival Longue vue sur le court, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Photo : Richmond Lam.

Dans Les Glaces, on suit une femme qui accuse un ancien amoureux de jeunesse de l’avoir agressée sexuellement, il y a 25 ans, ainsi que les conséquences de cette dénonciation sur la famille de l’assaillant. Avec sa nouvelle pièce, la prolifique dramaturge Rébecca Déraspe explore les thèmes de l’imputabilité, du pardon et de la solidarité. Cette coproduction du Théâtre de La Manufacture et du Théâtre La Bordée est mise en scène par Maryse Lapierre, et met en vedette notamment Christian Michaud, Daniel Gadouas et Debbie Lynch-White. À quelques jours de la première représentation au Théâtre La Licorne, dans la métropole, Fragments Urbains s’est entretenu avec l’autrice pour en apprendre davantage sur le processus de création du spectacle et discuter de bienveillance et de responsabilité.

Quelle est la genèse du projet Les Glaces? Quelle a été votre principale source d’inspiration?

Dans tout le premier mouvement de dénonciation, il y a quatre ou cinq ans, j’avais envie de trouver ma façon de prendre part à ce débat-là. Et je suis extrêmement nulle pour débattre, dans la vie! Ma façon de réfléchir et de me poser des questions sur l’être humain, de comprendre quelque chose du monde, en général, c’est d’écrire du théâtre.

La vie a fait en sorte que j’ai mis un peu le projet sur pause. Puis, il y a un an, j’ai eu une résidence d’écriture à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, en association avec le Centre des auteurs dramatiques. J’avais alors accès à ce que je voulais comme archives. J’ai fait énormément de lecture de correspondances amoureuses, pour voir comment le désir s’exprimait à travers les époques. Et, à un moment donné, je suis tombée sur le discours d’ouverture de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, la première fédération féministe québécoise, de Marie Gérin-Lajoie. C’était en 1907. Dans son allocution, elle parle de solidarité féminine, de sororité, de l’importance de l’éducation dans toutes les questions d’ordre sexuel.

Ç’a été comme une révélation. À l’heure actuelle, certains affirment que le débat sur la violence sexuelle est un effet de mode. Non, ça fait des centaines d’années qu’on essaie d’en parler, que ce sujet-là tente d’exister! Si on en parlait déjà au début des années 1900 et qu’on n’a autant pas avancé, qu’est-ce que ça veut dire pour notre avenir?

Lorsque j’ai repris mon travail, ça a changé un peu l’axe dramaturgique de mon texte. C’est-à-dire que, il y a cinq ans, j’étais plus proche des deux garçons qui ont posé un geste de violence sexuelle. Et là, j’ai modifié ma perspective et je me suis davantage rapprochée des personnages féminins, pour créer un espace de solidarité féminine qui traverse la pièce. Et il y a énormément de moi aussi, dans ce spectacle-là. De toute façon, je pense que, chaque fois que quelqu’un écrit, c’est pour essayer de réparer quelque chose. Du moins, c’est mon cas.

Dans la pièce, on suit les protagonistes dans le présent, mais également il y a 25 ans. C’était essentiel pour vous, ce retour dans le passé?

Oui, tout à fait! On ne lisait pas les événements de la même façon, il y a 25 ans. Si ces hommes-là avaient posé ce geste de violence sexuelle il y a six mois, on n’aurait pas d’empathie pour eux. Mais, avec le recul et parce qu’eux-mêmes regardent l’adolescent qu’ils étaient… En tout cas, moi, ma porte d’humanité et de bienveillance est plus facile à ouvrir. Le rapport au temps est très important parce que, sinon, je n’aurais pas pu aborder ces personnages-là avec le respect que j’ai pour eux.

Ça me confronte beaucoup, comme être humain, de revisiter ce que j’ai vécu, ce que mes amis ont vécu. Il y a une introspection qui s’opère, inévitablement. Personnellement, je regarde des épisodes de mon passé et je peux vraiment dire : ah, mon Dieu, cette fois-là, j’ai dépassé une limite ou, cette fois-là, je n’ai pas mis ma limite! Les dernières années m’ont permis de comprendre que j’avais le droit de dire non et je ne me donnais pas nécessairement la permission de le faire, avant.

Voilà pourquoi j’avais envie de raconter une histoire qui s’est passée il y a longtemps, pour que les protagonistes soient capables d’avoir une distance, même émotive. Ils ont tout mis dans des glaces et ça va dégeler, au cours de la pièce.

Rébecca Déraspe. Photo : Harrison Rupnik.

Vous abordez souvent des thèmes graves, mais toujours dans la nuance et la bienveillance. Jamais vous ne jugez les personnages, jamais vous ne les condamnez.

Dans mon rapport à l’écriture, j’ai besoin d’être en contact avec des êtres humains, qui sont complexes. Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc, c’est toujours nuancé. C’est d’autant plus important avec un sujet comme celui des Glaces. C’est facile de condamner, mais je n’avais pas envie de le faire. Évidemment, il ne faut pas tomber dans l’impunité non plus, mais juste condamner, ça ne règle pas le problème.

Vous ne prétendez pas, avec votre spectacle, apporter de solution au fléau de la violence sexuelle. Votre contribution au débat se situe plutôt dans la réflexion, la discussion.

Je suis juste une petite fille de 39 ans, qui n’a pas les ressources pour dire ce qu’il faut faire. Je veux plutôt qu’on se demande : qu’est-ce qu’on doit faire de plus, en tant que société? Je souhaite qu’on réfléchisse tous ensemble, en assumant le fait qu’on est des êtres humains qui essaient de comprendre un enjeu.

Il y a également le thème de la famille qui est omniprésent dans la pièce. Quelqu’un qui a posé un geste répréhensible est aussi un fils, un frère, un conjoint… Son entourage est également victime collatérale des conséquences de son acte.

Complètement! Comment on fait pour continuer d’aimer quelqu’un qui a fait quelque chose avec lequel on est viscéralement en désaccord? Moi, je pense que si la personne a le courage d’assumer les conséquences de son geste et le désir de réparer quelque chose, il y a une piste de réflexion à explorer.

Lorsqu’on aborde un sujet aussi délicat que la violence sexuelle, est-ce qu’on travaille d’une manière différente avec les comédiens masculins et féminins?

On a une équipe incroyable et généreuse. Ça a amené des conversations très sensibles. Je sens les hommes extrêmement touchés par mon texte. Et, chaque fois qu’il y a un enchaînement, tous les hommes présents pleurent. J’essaie de comprendre pourquoi ça les bouleverse à ce point. Est-ce qu’ils revisitent certains souvenirs dans leur tête? J’extrapole, mais je ne suis pas nécessairement capable de mettre des mots sur la réaction des comédiens. Ce qui est sûr, c’est que l’équipe est composée de sensibilités bienveillantes et que les artistes apprennent beaucoup au contact de cette matière.

Quel impact souhaitez-vous que le spectacle ait sur le public?

J’ai vraiment envie que le spectateur sorte avec le désir de discuter, le courage de revisiter sa propre histoire, le courage de la solidarité concrète. J’ai l’impression qu’on est beaucoup dans les discours. Il y a des réflexes qui sont extrêmement ancrés en nous. Et, parfois, et je vais parler pour moi, le concret ne suit pas toujours le discours, notamment dans l’intimité des relations. Si une amie te confie quelque chose, auras-tu les mains tendues? Tes idéaux, est-ce que tu les incarnes tout le temps? Appliquer sa vision du monde au quotidien, c’est ça, le défi. Ça m’a fait prendre conscience de l’ampleur du courage que ça demande.

Je me questionne sur les espaces de solidarité, également. Je pense entre autres au documentaire T’as juste à porter plainte, de Léa Clermont-Dion, qui est vraiment incroyable. Elle montre à quel point c’est difficile pour la victime, qui devient aussi une suspecte aux yeux de certains et dans la salle d’audience. C’est ça aussi qui doit changer. C’est ce que j’essaie de dire, dans le spectacle. On a une responsabilité collective, notamment dans l’éducation de nos enfants. Il y a une piste de solution pour l’avenir dans tout ça.

Quel est le plus grand défi que vous avez dû surmonter dans la création de la pièce?

On est tous hyper conscients du sujet, de l’impact que ça peut avoir, de façon positive ou négative. Est-ce qu’on en parle de la bonne façon? Je n’ai vraiment pas envie d’être démagogique, d’être dans le tout noir ou tout blanc.

Je pense que, la clé, c’est de le faire pour les bonnes raisons, c’est-à-dire, à mon avis, pour essayer de comprendre ce qu’on doit faire, en tant que société.

Depuis la première vague du mouvement #MeToo, il y a eu de nombreux documentaires, fictions, prises de parole publiques sur le sujet de la violence sexuelle. Avez-vous craint, pendant le processus de création, que la population devienne un peu saturée à propos de ce sujet?

Bien sûr! Mais je pense que c’est un angle qu’on n’a pas nécessairement vu encore, dans les différentes productions. Et je pense que je raconte une bonne histoire, celle d’une famille. On évoque un point de saturation, un discours qui se poursuit dans l’espace public, mais rien ne se passe concrètement! Moi, mon outil, c’est le théâtre. C’est ma façon de mettre ma pierre dans l’édifice, de participer à la réflexion collective.

Les Glaces, de Rébecca Déraspe, mise en scène par Maryse Lapierre, est présentée du 4 octobre au 5 novembre 2022, au Théâtre La Licorne, à Montréal, puis du 23 au 26 novembre 2022, au Théâtre Alphonse-Desjardins, à Repentigny, le 1er décembre 2022 au Centre culturel Berger, à Rivière-du-Loup, et du 10 janvier au 4 février 2023 au Théâtre La Bordée, à Québec.

Pour toutes les infos, c’est ici.

Texte et photos : Karine Tessier

Photo : David Wong.

Rares sont les projets qui fusionnent les domaines de l’art et de la santé. Présenté à Tangente, dans l’Édifice Wilder, l’événement multidisciplinaire Les Jeux du crépuscule, dont la création et la direction artistique sont signées Ariane Boulet, se veut une réflexion aussi intime que grandiose sur notre rapport au vieillissement et à la maladie. En plaçant la danse au service de l’humain, l’artiste nous invite à explorer ces passages obligés de l’existence, pour les adoucir et, peut-être, les réinventer.

Une œuvre chorégraphique d’abord, mais également une exposition, des ateliers de coprésence, des discussions, un recueil de poèmes. Un bouquet d’activités, que le public peut découvrir en tout ou en partie et pendant lesquelles il est parfois invité à participer.

Photo : David Wong.

Le spectacle est le résultat de huit années de visites dans plus d’une vingtaine de CHSLD, avec le projet Mouvement de passage. Ariane Boulet et ses acolytes y ont côtoyé des dizaines de personnes âgées en perte d’autonomie ou en fin de vie, insufflant dans leur quotidien souvent difficile un brin de magie. Ils ont égayé les chambres, les espaces communs et même les couloirs des établissements de soin et ont permis aux aînés de s’exprimer, d’interagir, de stimuler leur créativité, de se raconter à travers les gestes et la musique, sans même prononcer un mot. Les résidents ont tissé des relations avec l’autre, un défi immense, dont la réalisation est facilitée par l’intervention de l’art.

Ce sont toutes ces expériences, à la fois banales et hors du commun, douloureuses et légères, tragiques et hilarantes, qui nous sont racontées par les talentueux interprètes des Jeux du crépuscule. Des souvenirs physiques, sensoriels et émotifs, témoins de transformations personnelles résultant du vieillissement et de la maladie. Une dame qui offre à une danseuse une visite guidée de sa chambre, comme si la pièce exiguë tenait davantage d’un majestueux château. Une résidente à l’âme séductrice qui caresse sensuellement le bras d’un artiste, l’œil coquin. Un vieillard malentendant qui « écoute » la mélodie en ressentant les vibrations qui émanent du sol. Une femme atteinte de démence qui, chaque jour, « attend l’autobus » devant la porte de l’ascenseur.

Il émane de l’œuvre d’Ariane Boulet une bienveillance et une tendresse touchantes, un profond respect pour les aînés rencontrés et leurs vies si riches. Sans taire la souffrance,  la créatrice et ses complices proposent au public de focaliser sur l’apport des personnes âgées à notre société, leur générosité, leur humour, leurs 1 000 histoires. Le groupe nous assure qu’il y a, dans les CHSLD, lieux où les conditions de vie et de travail sont parfois pénibles, un « potentiel de party à chaque coin de couloir ».

Photo : David Wong.

Cette sensibilité à fleur de peau, couplée à des habiletés techniques certaines, fait d’Audrey Bergeron, Lucy M. May, Isabelle Poirier, David Rancourt, Georges-Nicolas Tremblay et Julie Tymchuk de grands interprètes. Charismatiques, ils nous offrent un récit qu’on savoure doucement et qui nous fait tantôt rire à gorge déployée, tantôt s’essuyer une larme furtive sur la joue. Si la chorégraphie nous émeut autant, c’est aussi parce qu’elle nous confronte à notre propre fragilité, au caractère inéluctable de la maladie et de la mort.

Photo : David Wong.

Pour accompagner les mouvements fascinants des danseurs, la voix et les mélodies sublimes de Marie Vallée, qui signe la direction musicale, la composition et l’interprétation de la bande sonore des Jeux du crépuscule. La performance de l’artiste sur et aux abords de la scène, plutôt que l’utilisation de pistes préenregistrées, ajoute à l’ensemble une intensité captivante.

On quitte la salle chaviré, avec en main un petit poème d’Ouanessa Younsi, autrice et psychiatre, ainsi qu’une semence de fleur de calendule, symbole du cycle de la vie. De petites attentions qui permettront à l’œuvre d’Ariane Boulet de nous accompagner encore plus longtemps dans le temps.

Bande-annonce ici.

Pour toutes les infos, c’est ici.

Atelier : Rencontre avec la technologie de la présence.

Juste avant la représentation, on a eu le privilège d’assister à une des activités inspirées par les recherches des scientifiques Stefanie Blain-Moraes et Naila Kuhlmann. Un petit capteur attaché à notre doigt, pour enregistrer les données de notre système nerveux, on s’est laissé guider par les directives de l’animateur Marco Pronovost. Après quelques profondes respirations, on a été invité à explorer et développer une connexion avec un autre participant à l’atelier, en improvisant des mouvements. Puis, les chercheuses ont analysé les chiffres recueillis, en plus de nous en dire davantage sur leurs travaux. Passionnantes, leurs études ont notamment permis d’observer chez des patients atteints de démence des réactions physiques à l’autre, comme si le corps conservait des souvenirs de rencontres passées que l’esprit a oubliées.

Pour en apprendre plus, c’est ici.

Exposition de Marie-Hélène Bellavance

Lors de ses ateliers créatifs donnés en CHSLD, l’artiste visuelle propose aux résidents et à leurs proches aidants de fabriquer de petites maisons à souvenirs, remplies de fragments de leur histoire personnelle. Avec ce projet intitulé La Maison que j’habite, moi, elle aide les aînés, souvent isolés, déracinés, encore davantage pendant la pandémie de COVID-19, à prendre conscience que leur maison est avant tout à l’intérieur d’eux-mêmes et qu’il est toujours possible de s’y réfugier. Dans l’exposition présentée en accompagnement aux Jeux du crépuscule d’Ariane Boulet, Marie-Hélène Bellavance propose au public les créations des personnes âgées avec qui elle a travaillé, mais aussi ses propres peintures et installations, délicates et précieuses, qui reprennent les thèmes qui l’inspirent depuis ses débuts, soit la vie, la mort, la transformation et la résilience.

L’événement artistique Les Jeux du crépuscule d’Ariane Boulet a été présenté du 28 avril au 1er mai 2022 à Tangente, à l’Édifice Wilder, à Montréal.

Texte : Karine Tessier

Après avoir été projeté en première mondiale au dernier Festival international du film sur l’art à Montréal, le documentaire Libre d’Hélène Bélanger-Martin sort en salles au Québec. Dans ce neuvième film, la cinéaste suit pendant un an le sculpteur et peintre André Desjardins dans la réalisation d’une œuvre colossale. Un moyen métrage intimiste, qui révèle toute la beauté de la création et des liens humains tissés grâce à elle.

Libre, c’est également le nom d’un personnage sculpté par André Desjardins, un être, comme l’explique son créateur, ancré dans le moment présent. Un an après la naissance de cet homme de bronze aux traits sereins, l’artiste décide d’en faire une version monumentale, de deux fois la taille d’une personne, un format qui révèlera encore davantage la puissance tranquille de l’œuvre. Il se donne un an pour accomplir sa besogne.

C’est cette aventure artistique, mais aussi humaine qui est illustrée par le film d’Hélène Bélanger-Martin. Un processus qui n’est pas dépourvu de rationalité, découpé en de multiples étapes, toutes cruciales et nécessitant une patience sans faille. De la numérisation des croquis à l’installation sur les berges du lac Memphrémagog, en passant par l’impression en 3D d’une armature et la correction d’erreurs de proportions, chaque instant fascine.

Les scènes dans lesquelles André Desjardins réfléchit, scrute, façonne, polit, retouche son personnage sont magnifiques dans leur simplicité. Dépouillées de tout artifice, ces séquences sont entrecoupées de plans de la nature québécoise dans ce qu’elle a de plus beau à offrir. Quelques mélodies minimalistes signées Nicolas Marquis se greffent à l’ensemble et ajoutent à l’état méditatif dans lequel nous plonge Libre.

On ne peut qu’être impressionné par le talent de l’artiste, un sculpteur et peintre autodidacte, passionné depuis l’enfance par la construction, le design et l’art. On est tout autant touché par ses souvenirs de jeunesse, souvent heureux, mais parfois tragiques, et les confidences d’un de ses plus fidèles amis et de collectionneurs dévoués.

Pas étonnant qu’Hélène Bélanger-Martin ait su aussi bien nous présenter l’artiste et l’homme qu’est André Desjardins. D’abord, il est son conjoint depuis de nombreuses années. Ils se connaissent par cœur. Mais la cinéaste est également une passionnée d’art, tellement qu’elle a ouvert la Galerie Roccia, à Magog, il y a maintenant plus de 10 ans. Son amour indéfectible pour la création visuelle se remarque tout autant dans sa filmographie, dans laquelle on retrouve de multiples courts métrages documentaires consacrés aux artistes et à leurs méthodes de travail.

Pour André Desjardins, créer, c’est le bonheur. On ne pourrait être plus d’accord. En assistant à la naissance de son œuvre plus grande que nature dans Libre, on se sent privilégié, ému, avec un désir renouvelé de découvrir le travail de nos artistes québécois.

Libre d’Hélène Bélanger-Martin est présenté du 13 au 19 avril à la Cinémathèque québécoise de Montréal, puis en tournée partout dans la Belle Province. Pour les dates, on consulte le site d’André Desjardins ici.

Pour voir la bande-annonce du documentaire, c’est ici.

Pour visionner gratuitement certains des films d’Hélène Bélanger-Martin, notamment Émotionnisme et Devenir, qui mettent aussi en vedette André Desjardins, c’est ici.

Pour en savoir plus sur la Galerie Roccia, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Alors que la douceur du printemps nous remonte le moral et que les mesures sanitaires liées à la COVID-19 s’allègent, la 38e édition du Festival international de cinéma Vues d’Afrique de Montréal bat son plein! Pour son retour en salles, l’événement propose, du 1er au 10 avril, 118 films produits par 44 pays, dont 30 % ont été réalisés par des femmes. C’est donc un rendez-vous à la Cinémathèque québécoise, pour savourer des courts, moyens et longs métrages, de la fiction, des documentaires et des œuvres d’animation. Entre deux projections, on fait un détour par Le Baobar, le temps de prendre un verre, assister à un spectacle de musique ou d’humour et déguster la poutine africaine créée par le chef Edmond, du restaurant et traiteur Diolo.

Fragments Urbains a vu, pour vous…

Ayam

En arabe, « ayam » signifie « des jours ». Dans ce superbe court métrage signé par la Marocaine Sofia El Khyari, on suit les préparations pour la fête de l’Aïd al-Adha, la plus importante célébration dans la religion musulmane. Tout en faisant la cuisine, trois générations de femmes se racontent : la volonté de la grand-mère d’apprendre à lire et à écrire, à une époque où c’était mal vu pour une jeune fille de fréquenter l’école, l’histoire d’amour avec le grand-père… Un récit de famille tissée serrée, de tradition et de résilience, illustré par des dessins aux riches coloris, couchés sur du papier kraft. Rien d’étonnant à ce que les films de cette créatrice de talent aient été récompensés dans de nombreux festivals, un peu partout sur la planète.

Présenté dans un programme de courts métrages, le 2 avril.

Autrement d’ici

Lénine Nankassa Boucal, d’origine sénégalaise, a choisi de s’établir à Rimouski, il y a plusieurs années. Aujourd’hui, il est coordonnateur du Cabaret de la diversité, qu’il a fondé, une initiative pour favoriser le vivre-ensemble dans cette municipalité du Bas-du-Fleuve. Dans ce moyen métrage, il se confie sur sa vie dans la Belle Province et nous présente deux de ses concitoyens, Shanti Park, de la Corée, et Moustapha Ndongo, du Sénégal. Avec son documentaire, le sympathique cinéaste souhaite montrer que les immigrants s’intéressent à la culture du Québec et que celui-ci est ouvert à l’intégration des nouveaux arrivants.

On est vite touchés par les confidences de Lénine, Shanti et Moustapha, qui ont trouvé ici de nouveaux amis, mais qui se sont surtout découvert de nouveaux talents et des forces insoupçonnées. Des propos empreints d’humour et de sagesse, illustrés par les magnifiques images de cette région de l’est de la province, signées Philippe Chaumette. À voir absolument.

Présenté le 2 avril.

Balalaïka

Sur le rythme de Kalinka d’Ivan Larionov, classique folk russe du 19e siècle, une femme vit de bien étranges hallucinations… après avoir dégusté un poulet rôti! On rigole franchement devant les expressions tantôt abasourdies, tantôt horrifiées de l’héroïne. Un très court film, à peine deux minutes, franchement réjouissant, réalisé par la talentueuse cinéaste et illustratrice égyptienne Maii Mohamed Abd Ellatif. On en aurait pris bien plus!

Présenté dans un programme de courts métrages, le 2 avril.

La Danse des béquilles

Chaque matin, Penda se rend à Dakar pour mendier, pour aider sa mère à faire vivre la famille. Assise dans son fauteuil roulant, les écouteurs sur les oreilles, elle ondule au rythme de la musique et sourit, exultant la joie de vivre. Rêvant de devenir danseuse professionnelle, elle voit dans sa rencontre avec un jeune chorégraphe la chance d’atteindre son objectif. Mais, pour ce faire, elle devra surmonter bien des obstacles, notamment son handicap et l’attitude autoritaire de sa mère, autrefois elle-même artiste.

Ce court métrage du Sénégalais Yoro Niang est une histoire d’amour… pour la danse, narrée au son des tambours et de la kora. On y constate la puissance de l’art dans l’émancipation d’une femme victime de préjugés, tout autant que dans la réconciliation des membres d’une famille brisée.

Dans les rôles de Penda et de sa mère, Dème Coumba et Mbaye Awa sont sublimes. Ces grandes interprètes nous livrent des personnages complexes, parfois durs, mais qui irradient la grâce et la beauté. Mentionnons que la musique du film a été composée par Didier Awadi, membre fondateur du groupe hip-hop Positive Black Soul, bien connu des Montréalais.

Présenté le 2 avril.

Bande-annonce ici.

Dans les mains de Dieu

Quand Samir, qui travaille dans une boutique d’électronique, a besoin de repos, il oublie son téléphone et va marcher dans le désert marocain. Cette fois, il part à la recherche de son pote Saïd, sans garantie de le retrouver. Sur le chemin, il fait des rencontres, raconte de savoureuses anecdotes de tournage, se confie sur ses maints échecs professionnels et se livre à l’introspection.

Le réalisateur Mohamed Rida Gueznai a tourné son premier film à l’âge tendre de 12 ans, avec pour tout équipement un téléphone portable. Lauréat, en 2019, de plusieurs prix pour son court métrage documentaire Le Vieil Homme et la montagne, présenté dans 24 pays, il récidive avec un excellent premier long métrage, Dans les mains de Dieu, un road movie avec, comme vedette, un homme au cœur d’or et à l’esprit bohème, nostalgique d’un temps où les gens ne dépendaient pas des nouvelles technologies. Le cinéaste, aidé de son collègue Mohamed Reda Kouzi, signe une direction photo spectaculaire, qui sublime les beautés du pays de l’Afrique du Nord. Un artiste à surveiller.

Présenté le 2 avril.

Pour toutes les informations, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

VEGA, la nouvelle création du chorégraphe et directeur artistique Emmanuel Jouthe, une coproduction de sa troupe Danse Carpe Diem et de Danse-Cité, tient son nom de l’étoile la plus étincelante dans le ciel d’été. Dans cette œuvre, quatre danseurs évoluent, se métamorphosent, tissent et brisent des liens, dans un perpétuel mouvement circulaire. Ils composent une constellation d’astres dont la brillance ne peut être ignorée, mais qui demeurent un mystère à élucider. Avec ce ballet cosmique, l’artiste se questionne sur l’impermanence de l’identité individuelle et collective et pose la question : connaît-on vraiment les gens que nous côtoyons?

Dès les premiers instants du spectacle, les interprètes Élise Bergeron, Rosie Constant, James Phillips et Marilyne St-Sauveur tracent des figures rondes sur les planches immaculées, sous une auréole lumineuse qui fait office de soleil. Ils battent la cadence à l’unisson, le visage quasi imperturbable, simplement rougi par l’effort, sans se toucher ni même prendre conscience de l’existence de l’autre. Puis, au fil des déplacements rotatifs, ils prennent leur envol, s’affirment dans leur unicité, s’attirent et se repoussent. Étoiles ou humains, leur trajectoire de vie est parsemée de rencontres avec des acolytes qu’ils croisent, imitent, soutiennent, abandonnent. Entre ces brèves réunions, les danseurs mettent et enlèvent des accessoires et des pièces de vêtements disposés tout autour de la scène. Leur personnalité se moule à ces costumes. Certaines étoffes briment la liberté d’esquisser des gestes, alors que les chaussures modifient la façon de se mouvoir dans l’espace.

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

En créant cette danse, Emmanuel Jouthe a voulu rendre concret l’espace occupé par l’imaginaire humain. Le public se laisse rapidement prendre au jeu de cette multitude de circonvolutions, rêvant à 1 000 histoires, visitant avec les personnages des territoires jusqu’alors inexplorés et qu’on tente désespérément de défricher, tout en conservant un port d’attache, lien rassurant dans l’univers de tous les possibles. Le travail minimaliste d’Antoine Berthiaume, à la composition musicale, et de Paul Chambers, à la conception des éclairages, accompagne parfaitement ce rituel hypnotique, accompli par des interprètes de talent, qui s’abandonnent volontiers à cette valse étourdissante.

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

VEGA est une œuvre déstabilisante, bouleversante autant par son étrangeté que par sa portée universelle. Au fur et à mesure que les mutations surviennent, les protagonistes sont personne et tout le monde à la fois, déchirés entre l’envie de se faire voir, de se faire reconnaître, et le désir d’anonymat. Seuls ensemble, ils mènent une quête identitaire aussi grisante qu’anxiogène. Quatre êtres réduits au silence, qui évoluent pourtant dans un espace densément peuplé, une image qui trouve écho dans notre société où les fractions sociales pullulent. Avec sa dernière proposition, le chorégraphe et directeur artistique prouve encore une fois qu’il sait reproduire avec justesse sur scène les tourments de l’âme humaine et les complexes rapports qui nous unissent.

VEGA, d’Emmanuel Jouthe, a été présentée au Théâtre Rouge du Conservatoire, à Montréal, du 25 au 28 novembre 2021.

Bande-annonce de VEGA, c’est ici.

Pour plus d’informations sur Emmanuel Jouthe, c’est ici.

ENTREVUE AVEC DAVE JENNISS, AUTEUR ET METTEUR EN SCÈNE

Texte : Karine Tessier

Dans sa toute dernière pièce, Nmihtaqs Sqotewamqol / La Cendre de ses os, l’auteur, metteur en scène et comédien Dave Jenniss explore à nouveau des thèmes qui lui sont chers, tels le territoire, l’identité et l’héritage. Cette fois, c’est en racontant l’histoire des deux frères Kaktanish, qui réagissent de manière bien différente au décès de leur père, survenu trois ans plus tôt. On s’est entretenu avec l’artiste, qui est également directeur artistique des Productions Ondinnok, première compagnie de théâtre francophone autochtone au Canada, pour en apprendre davantage sur ses méthodes de travail, les projets qu’il aimerait réaliser, ainsi que de ses coups de cœur artistiques autochtones.

Photo : Myriam Baril Tessier.

Dans vos écrits, le thème de la transmission est omniprésent. L’importance de l’héritage pour vous explique-t-elle la nouvelle direction que prend votre carrière?

Je ne suis pas quelqu’un qui aime être à l’avant de la scène. Je l’ai déjà été à l’époque où j’étais acteur. Depuis trois ou quatre ans, depuis que j’ai pris la direction d’Ondinnok, j’ai le goût de plonger dans la mise en scène, dans la direction d’acteurs, et j’aime vraiment ça. J’ai envie de transmettre ce que j’ai appris aux côtés d’Yves Sioui Durand et Catherine Joncas, depuis que je suis arrivé à la compagnie, en 2004. Présentement, je le fais avec mes acteurs qui ne connaissaient pas la troupe. Ils trouvent ça un peu difficile parce que j’ai une approche un peu plus organique, plus spirituelle aussi!

Il y a toujours un élément cérémonial dans votre façon de travailler. Vous brûlez de la sauge, il y a un petit rituel… Ces gestes ont toujours été présents dans votre processus de création?

C’est ce que j’ai appris chez Ondinnok et, pour moi, ça allait de soi que je devais continuer là-dedans. Même si je fais du théâtre un peu plus contemporain, il y a toujours ce côté mythologique à l’intérieur de moi. C’est ma base. C’est pour ça qu’à chaque fois que je fais un atelier, une mise en scène ou que j’écris un texte, il y a des moments où on plonge dans une espèce de monde renversé, un monde imaginaire où on est du côté plus spirituel. Il y a une lenteur également que j’ai apportée, que je trouvais intéressante.

Cette solennité, cette envie de prendre le temps sont à mille lieues de la société de performance dans laquelle nous vivons. Comment les comédiens ont-ils réagi face à cette approche?

Ç’a été un beau défi! Prendre le temps de prendre le temps… Je l’ai dit souvent, souvent, souvent, depuis le début des répétitions : « Vous allez trop vite. Prenez votre temps, il n’y a rien qui presse. » C’est une espèce de contre-théâtre un peu, ce que j’ai essayé de faire avec Nmihtaqs Sqotewamqol / La Cendre de ses os, c’est essayer justement de pas être dans la performance. C’est quelque chose que j’ai appris chez Ondinnok, être juste là, être vrai et se laisser transporter par les mots! Souvent, on n’est pas obligé de jouer énorme, surtout dans une salle comme La Petite Licorne!

Photo : Myriam Baril Tessier.

Parce que les spectateurs, même ceux assis tout au fond, voient les expressions faciales, chaque petit geste.

Oui, c’est ça! Tout le monde a été quand même assez ouvert. Il y a des gens avec qui j’avais déjà travaillé, comme Charles Bender, chez Ondinnok. Mais, les autres, ça leur faisait du bien, ainsi que l’absence totale de jugement. Ça fait partie des pierres fondatrices de la compagnie : ne jamais se juger, ne jamais juger l’autre. On a la chance d’avoir un aîné anichinabé avec nous, qui joue, Roger Wylde. Il amène un calme, une sérénité, et on le ressent même dans le spectacle.

Vous êtes directeur artistique de la troupe depuis maintenant quatre ans et demi. Comment voyez-vous ce nouveau rôle de patron?

Je suis, je pense, davantage un ami qui est là pour faire avancer la compagnie avec toute l’équipe. On fait des retraites de groupe, quatre par année. À ce moment, on se retire trois ou quatre jours et on fait des exercices, des ateliers, de la méditation. Et on essaie de trouver les meilleures choses pour faire progression, évoluer Ondinnok.

Quels seraient vos souhaits pour l’avenir de la troupe?

Depuis quelque temps, on est dans une phase de théâtre un peu plus parlé, un peu plus contemporain, notamment avec L’Enclos de Wabush, coproduit avec le Nouveau Théâtre Expérimental, et Nmihtaqs Sqotewamqol / La Cendre de ses os à La Licorne. Juste avant de fermer les bureaux pour la période estivale, j’ai eu une rencontre avec la direction générale, avec les mentors, Yves et Catherine, et j’ai beaucoup parlé de mon désir de revenir à l’ancien Ondinnok, donc un théâtre plus organique, peut-être moins verbeux, plus dans le corps, dans le physique, dans les histoires du passé, dans le lien avec le territoire. J’ai le goût de plonger dans quelque chose comme ça pour les prochaines œuvres.

Photo : Myriam Baril Tessier.

Qu’est-ce que le corps, le mouvement, le silence permettent que les mots ne permettent pas?

Quand les silences sont vraiment là, sont vraiment habités, qu’ils sont faits avec sincérité, qu’on ne les plaque pas avec un jeu d’acteur, je trouve qu’ils sont souvent plus puissants que les mots qui sont dits. J’ai coupé du texte justement en répétition. Tout ce qu’on a décidé de faire, avec mon assistante-metteuse en scène Édith Paquet, c’est une espèce de contre-balancement du jeu. Si on se déplace, on se déplace pour la bonne raison.

D’ailleurs, la structure sur laquelle on joue, faite de bois, peut créer un certain handicap. J’avais ce désir d’une scénographie dans laquelle les acteurs se promènent et se sentent un peu pris, à l’étroit, ce qui les oblige à bouger pour les bonnes raisons. Le déséquilibre leur demande d’ancrer leurs pieds comme des racines. Sans que ce soit joué comme une tragédie, leurs corps sont tragiques! Ça vient du ventre, c’est viscéral!

La pièce a été écrite en français, mais des passages en langue wolastoqiyik y ont été intégrés. On les entend ou ils sont projetés sur un écran.

C’est important d’entendre cette langue-là sur la scène, de la lire, même si on ne la comprend pas. On dirait que je ne suis plus capable de m’empêcher de la mettre dans mes textes. Ça fait partie de l’ADN de l’histoire.

Et ça contribue du même coup à ce que les langues autochtones se transmettent, survivent, et qu’on en laisse des traces. Donc, c’est aussi un travail social, politique, historique. C’est plus qu’un choix artistique.

Effectivement, c’est un choix d’éducation… Oui, on peut considérer ça comme un geste politique, de s’affirmer, d’être fier de ces langues-là! On l’aborde d’ailleurs dans la pièce! Le personnage de Martin revient dans son ancien village avec ce désir de léguer une langue qu’il a réussi à apprendre petit à petit, quand il était dans le bois avec un aîné. Il dit : « C’est la chose la plus riche qu’on a! C’est comme ça qu’on va pouvoir faire survivre la communauté. » Ce n’est pas en faisant un port méthanier ou quoi que ce soit de politique ou d’économique! La survie d’une nation, c’est la langue.

Nmihtaqs Sqotewamqol / La Cendre de ses os a d’abord été présentée en lecture publique au Festival du Jamais Lu en 2019. Comment l’œuvre a-t-elle évolué depuis?

J’ai commencé à l’écrire en 2018. C’est parti un peu du premier spectacle que j’ai fait sur les sujets de la transmission, de l’identité, qui s’appelait Ktahkomiq. Je trouvais que je n’avais pas fait le tour en lien avec l’identité et la communauté dont je fais partie. Chez Ondinnok, on travaille beaucoup sous forme de laboratoire. Alors, j’ai amené mes acteurs dans le Bas-du-Fleuve. On y a bossé pendant une semaine, dans une maison, dans laquelle on habitait également. Il y avait donc constamment une discussion à propos du travail. C’est comme ça que le texte s’est construit. Ce qui est important, et je le dis tout le temps, c’est le résultat, d’arriver au bout et que tout le monde soit fier de ce qu’il a fait.

Si vous n’aviez pas de contraintes de budget, de temps, votre plus grand fantasme artistique, quel serait-il?

On est plein d’amis ensemble, qui sont tous passés chez Ondinnok. Tout le monde est séparé dans diverses compagnies et je trouve qu’on s’oublie beaucoup. J’aimerais faire une espèce de voyage autochtone d’est en ouest, partir avec un camion, une troupe, un chapiteau, une maison longue, et se promener comme à l’ancienne et faire ce théâtre organique, sans artifice, dans les communautés autochtones, dans les villes. Au bout de l’itinéraire, on pourrait transmettre autre chose, avec les autochtones de l’ouest du pays. Ce serait comme un chemin de passation, mais théâtral. C’est vraiment embryonnaire comme projet, mais c’est quelque chose qui me fait rêver.

Quels ont été vos derniers coups de cœur artistiques autochtones?

J’ai écouté le dernier disque de Samian. Pour moi, c’est un travail colossal de faire un disque dans la langue anichinabée, quand tu ne la parles pas vraiment. C’est faire un effort grandiose. Également, toutes les œuvres de Caroline Monnet, j’aime beaucoup. La pièce Okinum de sa sœur Émilie, qui est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021. Mais je pense que la dernière chose que j’ai aimée et qui m’a fait réfléchir, c’est le rapport autochtones et non-autochtones, quand je suis allé voir l’exposition sur Riopelle au Musée des beaux-arts de Montréal. Ça m’a beaucoup touché! Ce que j’ai envie de dire aux gens, c’est : allez dans les musées, c’est la meilleure chose à faire! Il y a beaucoup de livres aussi! Soyez curieux!

La pièce Nmihtaqs Sqotewamqol / La Cendre de ses os, écrite et mise en scène par Dave Jenniss, est présentée au Théâtre La Licorne de Montréal jusqu’au 12 novembre 2021. Toutes les infos ici.

Pour suivre les créations d’Ondinnok, c’est ici.

CRITIQUE DE LA PIÈCE FAIRE LA LEÇON, DE RÉBECCA DÉRASPE, MISE EN SCÈNE PAR ANNIE RANGER

Faire_la_leçon_affiche

Illustration : Diana Aziz.

Texte : Julie Baronian

Un gymnase converti en salle des profs, une photocopieuse, quelques bancs… et quatre enseignants – Camille, Mireille, Étienne et Simon – dans une école où aucun élève n’a levé la main depuis trois ans.

De la rentrée des classes jusqu’au party des Fêtes, les protagonistes, dont les rôles sont tenus par Solo Fugère, Xavier Malo, Marilyn Perreault et Klervi Thienpont, se rencontrent dans cette salle, comme dans un espace de décompression, seul lieu où ils peuvent dévoiler leur vulnérabilité et s’exprimer sans filtre.

Faire_la_leçon_1

Photo : Eugene Holtz.

La distribution nous offre une très bonne performance, malgré un jeu parfois inégal. L’interprétation très appuyée accentue le côté absurde de la pièce. Mais ce qui attire l’attention dès le début, ce sont les mouvements saccadés, chorégraphiés des personnages, l’exécution très physique. Le propos du spectacle est porté autant par le texte, très rythmé, que par la gestuelle singulière des enseignants. On reconnaît là la signature de la metteuse en scène Annie Ranger, cofondatrice du Théâtre I.N.K, une compagnie qui explore avant tout les mouvements dans le jeu théâtral. Cette particularité ajoute assurément une dimension importante à Faire la leçon, tantôt dramatique, tantôt comique.

Le système d’éducation actuel est remis en question avec beaucoup d’humour et de poésie dans cette œuvre de Rébecca Déraspe, en abordant les angoisses, les difficultés et les drames que vivent les professeurs, de leur propre vision des choses. Racisme, homosexualité, devoir de réserve, dépression, anxiété sont autant de sujets explorés qui nourrissent la réflexion du spectateur. Des situations absurdes auxquelles les enseignants sont souvent confrontés de nos jours sont aussi illustrées : travaux de construction pendant les cours, manque de locaux, absence de climatisation, et autres.

Faire_la_leçon_2

Photo : Eugene Holtz.

Dans l’ensemble de son œuvre, la dramaturge québécoise examine les multiples facettes des inégalités sociales et de la détresse humaine. Faire la leçon ne fait pas exception. Rébecca Déraspe est également très attachée au monde des enfants, pour lesquels elle a signé plusieurs pièces, notamment Je suis William, qui a remporté le prix de la critique « meilleur spectacle jeune public » en 2018.

Bien que Faire la leçon nous fasse souvent sourire par l’absurdité et le sarcasme qu’il nous présente, il pose quand même un questionnement actuel et nécessaire sur le système d’éducation. Les adolescents et les jeunes enseignants se sentiront sûrement les plus touchés et concernés par le propos.

 

Fait intéressant, à l’invitation de la metteuse en scène Annie Ranger, des personnalités de divers milieux – parmi lesquels, des employés de commission scolaire, des professeurs, des activistes – prennent la parole sur le thème des enjeux de l’éducation pour une durée de trois minutes avant chacune des représentations.

La pièce Faire la leçon de Rébecca Déraspe, une production du Théâtre I.N.K., mise en scène par Annie Ranger, est présentée du 12 au 29 novembre 2019, au Théâtre Aux Écuries.

Pour toutes les informations : auxecuries.com/projet/faire-la-lecon