Articles Tagués ‘Christoph Waltz’

Texte : Karine Tessier

La huitième édition du festival Longue vue sur le court débarque dans le Sud-Ouest de Montréal avec une nouvelle cargaison de courts métrages de fiction, documentaires et d’animation, du 23 au 27 novembre 2022. Au menu, plus de 70 œuvres, représentant 18 pays, dont 41 provenant du Québec et du Canada. L’occasion parfaite de découvrir des créations singulières de grande qualité, peut-être même avec les enfants, puisque quelques séances leur sont tout particulièrement dédiées. Fragments Urbains a visionné une partie du programme pour vous et vous parle de ses coups de cœur.

Piscine pro

Pour les amoureux de l’ironie et de l’humour absurde, Piscine pro est un must! On y retrouve le ton si particulier au scénariste et réalisateur Alec Pronovost, connu pour son travail sur les séries télé Le Killing, Complètement Lycée et Club Soly. Dans ce court, où brillent Louis Carrière et Alexis Martin, notamment, un bachelier en histoire, spécialisé en études sur les Vikings, s’ennuie à mourir dans un emploi de commis d’un magasin de piscines. Nul doute que ce petit film d’à peine huit minutes rappellera bien des souvenirs à ceux qui ont déjà occupé un boulot alimentaire, parachutés dans un domaine professionnel qui leur est totalement étranger.

III

Avec son premier court métrage, III, la scénariste et réalisatrice Salomé Villeneuve (la fille de Denis) attire l’attention, avec raison. Cette histoire de trois enfants qui entrent en conflit lors d’une sortie de pêche trouble, voire bouleverse. La jeune cinéaste souhaitait explorer, dans sa première œuvre, la faculté qu’ont les enfants d’aimer et de détester, parfois de façon soudaine. Dans ces jeux parfois cruels initiés par les petits, s’immisce par moments la violence, exprimée verbalement et physiquement. Un récit fascinant qui se déroule dans la beauté brute de la nature québécoise, mise en valeur par la superbe direction photo de Fred Gervais, qu’on connaît également pour son travail de photographe.

Suzanne & Chantal

Une création délicieuse que ce court métrage écrit et dirigé par la polyvalente Rachel Graton, dont on admire déjà les talents de comédienne et de dramaturge. Le film a d’ailleurs remporté le Prix du public de la compétition officielle au dernier Festival REGARD, à Saguenay. Dans cette fiction riche en surprises et en personnages truculents, Anne-Marie Cadieux et Béatrice Picard incarnent avec énergie deux complices tout sauf sages, qui partent en mission… dans un salon de coiffure! Une vue au rythme enlevant, qui célèbre l’amitié avec originalité. Dire qu’on aimerait retrouver ces femmes hautes en couleur dans un long métrage est un euphémisme!

La Théorie Lauzon

Cette nouvelle proposition signée Marie-Josée Saint-Pierre s’adresse autant aux fans invétérés du cinéaste Jean-Claude Lauzon qu’à ceux qui souhaitent le découvrir. Dans cet essai psychanalytique, on dresse le portrait de celui qu’on surnommait le « mouton noir » du septième art québécois, à l’aide d’archives, d’extraits de son œuvre et d’animation, sublimés par l’esthétique caractéristique de Saint-Pierre. La Théorie Lauzon se veut également une captivante et touchante réflexion sur l’identité et les relations père-fils. Le processus de création est définitivement l’un des thèmes de prédilection de la documentariste, elle qui nous a déjà proposé des courts sur le musicien de jazz Oscar Peterson, le cinéaste Claude Jutra, ainsi que l’animateur Norman McLaren. Un incontournable du festival.

La Guêpe

Dès les premières secondes de La Guêpe, on est happé par l’atmosphère anxiogène et la trame narrative énigmatique, accentuées par les mélodies d’une grande beauté signées Antoine Binette Mercier, avec l’incontournable Claude Lamothe au violoncelle. L’acteur et metteur en scène Marc Beaupré se révèle un réalisateur fort habile, avec ce premier effort, qui raconte le quotidien d’une propriétaire d’un motel plutôt crade, qui sera bouleversé par l’arrivée d’un inconnu. Dans le rôle titre, on retrouve avec bonheur Marie-France Marcotte, dont on a pu apprécier l’immense talent, cet automne, dans la série télé Avant le crash. Une performance magistrale, récompensée par un prix, à l’occasion du dernier Festival international du film Fantasia de Montréal. L’œuvre est également repartie avec le Prix du public – bronze, dans la catégorie du Meilleur court métrage québécois, lors de l’événement.

Little Berlin

Inspirée d’une histoire vraie, cette création de Kate McMullen raconte un pan de la vie dans un petit village allemand, pendant la Guerre froide. Et elle le fait d’une manière on ne peut plus inusitée… en racontant l’existence de Peter le taureau, marquée par la solitude, une fois que le rideau de fer le sépare de ses 36 concubines. En à peine un quart d’heure, l’œuvre réussit à nous faire rire aux éclats, autant qu’à nous émouvoir. Une proposition charmante, narrée de façon brillante par l’acteur Christoph Waltz.

Warsha

Un matin dans la vie de Mohammad, qui bosse dans la grue la plus grande et dangereuse de Beyrouth. Suspendu au sol, au-dessus des gratte-ciel, l’homme en profite pour assouvir ses désirs en laissant son esprit vagabonder. Dans ce court, la Montréalaise Dania Bdeir utilise la colorimétrie pour faire écho aux émotions de son personnage principal, d’abord étouffé par les conditions de travail difficiles et l’univers machiste des chantiers, puis libéré lorsqu’il se réfugie dans ses songes. La direction photo de Shadi Chaaban confère à l’œuvre une élégance indéniable. Dans le rôle de Mohammad, l’artiste multidisciplinaire Khansa offre une performance sensible, qui permet une réflexion nuancée sur la binarité, le genre et les limites de l’émancipation dans une société conservatrice. Tout ça au son de la musique de la légendaire Oum Khalthoum, considérée par plusieurs comme la plus grande chanteuse de l’histoire du monde arabe. Le film a remporté le prix du Meilleur court métrage international remis par le jury, cette année, au festival de Sundance. Un honneur amplement mérité.

Stranger Than Rotterdam With Sara Driver

Quelle histoire aussi surréaliste qu’hilarante que celle de Stranger Than Rotterdam With Sara Driver! Le court, signé Lewie et Noah Kloster, suit les péripéties de la productrice du deuxième film, culte, de Jim Jarmusch, Stranger Than Paradise, en 1982. On regarde pour la minutie de l’animation, le charisme de la protagoniste principale et parce qu’il s’agit assurément d’un des plus réjouissants behind the scene jamais proposés.

Partir un jour

Dans ce film mélancolique, mais empreint d’humour et de lumière, Amélie Bonnin nous raconte une histoire d’amour qui n’est jamais arrivée, ponctuée de chansons de 2Be3, Francis Cabret et Ménélik. Dans les rôles principaux, Bastien Bouillon et la chanteuse star Juliette Armanet sont terriblement charmants. On se régale tout autant du jeu de François Rollin, hilarant en père râleur. Une œuvre qui parlera à tous ceux qui, pour fuir l’ordinaire et réaliser leurs rêves, ont un jour quitté leur patelin pour la grande ville. Et qui ont réalisé tôt ou tard qu’aucun endroit n’est parfait et que la magie se trouve parfois là où on s’y attend le moins. Mention spéciale au générique, qui prend des airs de karaoké. Adorable.

Pour toutes les infos sur le festival Longue vue sur le court, c’est ici.

CRITIQUE DE BIG EYES DE TIM BURTON

Texte : Véronique Bonacorsi

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Si le modus operandi de Tim Burton (Alice in Wonderland, Frankenweenie) des 10 dernières années peut se résumer à mêler histoire farfelue, effets spéciaux colorés et Johnny Depp, Big Eyes détonne dans ce parcours cinématographique. Sa dernière aventure au grand écran raconte sobrement la fable véridique – mais assez étonnante – de la peintre Margaret Keane.

Dans la contrée non lointaine et tout à fait tangible de San Francisco, dans les années 1950, Margaret, mère divorcée et artiste inappréciée, rencontre Walter Keane. Après leur union, les Keane se retrouvent propulsés dans un monde de beatniks, où ils cherchent à faire connaître leurs peintures respectives. Lorsque les tableaux de Margaret commencent à gagner en popularité, non seulement son nouvel époux s’approprie le mérite, mais il parvient à convaincre sa femme de l’accompagner dans cette supercherie. Plus le couple s’embourbe dans ce mensonge – la plus grande fraude artistique de l’histoire – plus Margaret, transformée en usine humaine d’œuvres d’art, se perd, en tant qu’artiste et en tant que femme.

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Ayant eu du succès avec plusieurs biographies portées à l’écran (Man on the Moon, Ed Wood, aussi réalisé par Tim Burton), les partenaires d’écriture Scott Alexander et Larry Karaszewski se sont sentis interpellés par l’aspect incroyable de l’histoire de Margaret. Cette émouvante leçon de bravoure personnelle représentait aussi l’occasion d’aborder la culture parfois problématique de la consommation de l’art, ainsi que l’éveil du mouvement féministe, des thèmes toujours d’actualité. Les scénaristes, avec le souci de véracité, rencontrent Margaret Keane, afin de s’assurer des détails, mais surtout qu’elle se sente à l’aise avec ce qui allait être mis en scène.

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Pendant près d’une décennie, le scénario a maintes fois failli être porté au cinéma. Un souhait seulement concrétisé lorsque Tim Burton, un producteur très tôt dans le projet, se voit disponible pour immortaliser la vie d’une artiste qu’il a longtemps admirée, sans le savoir. Les peintures de « Walter » Keane étaient omniprésentes dans le paysage de la jeunesse de Burton – en tant qu’adulte, après la révélation de la fraude, il en a même commandé directement de la peintre – et il paraît évident qu’elles ont influencé le look signature de ses films.

Le réalisateur Tim Burton.

Le réalisateur Tim Burton.

Big Eyes constitue certainement la création la moins reconnaissable du réalisateur. Produite à petit budget, l’oeuvre repose sur le tourment d’un personnage central non verbal. L’esprit fantaisiste de Tim Burton opère ici dans les paramètres limités de la réalité. On parvient tout de même à sentir le caractère « surréel », à la manière d’un conte de fées, dans sa façon de présenter les mots de Alexander et Karaszewski, un scénario qui se veut inspirant, mais qui tombe parfois dans les clichés du film hollywoodien au happy ending.

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La plus belle prouesse de ce film biographique est accomplie par le duo de Amy Adams et Christoph Waltz. Les interprètes de Margaret et Walter Keane parviennent à nous faire croire en cette relation si invraisemblable psychologiquement, entre la douce peintre et le pro raconteur. Si Waltz paraît souvent, mais légitimement, caricatural dans son interprétation, il rend à merveille la dualité charmant-menaçant du personnage. De Adams, la vraie Margaret Keane, pour qui Big Eyes représente une expérience à la fois thérapeutique et traumatisante, parle d’une performance fantastique, et avec raison. L’actrice a su incarner la dignité et la délicatesse de son sujet, au lieu de la faiblesse qu’il s’en dégage à première vue. Et enfin, le public peut connaître la véritable âme qui se cachait derrière tous ces grands yeux.

Margaret Keane et Amy Adams.

Margaret Keane et Amy Adams.

Big Eyes réunit aussi quelques collaborateurs réguliers de Tim Burton, dont la costumière Colleen Atwood (Alice in Wonderland), gagnante de trois oscars. Lana Del Rey a coécrit la chanson titre, nommée aux Golden Globes. Amy Adams a reçu plusieurs nominations pour son rôle, et a même été récompensée du Golden Globe de la meilleure actrice.
Le DVD est disponible depuis le 14 avril 2015.

Site Web officiel du film : bigeyesfilm.com