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Texte : Karine Tessier

Photo : Richmond Lam.

Dans Les Glaces, on suit une femme qui accuse un ancien amoureux de jeunesse de l’avoir agressée sexuellement, il y a 25 ans, ainsi que les conséquences de cette dénonciation sur la famille de l’assaillant. Avec sa nouvelle pièce, la prolifique dramaturge Rébecca Déraspe explore les thèmes de l’imputabilité, du pardon et de la solidarité. Cette coproduction du Théâtre de La Manufacture et du Théâtre La Bordée est mise en scène par Maryse Lapierre, et met en vedette notamment Christian Michaud, Daniel Gadouas et Debbie Lynch-White. À quelques jours de la première représentation au Théâtre La Licorne, dans la métropole, Fragments Urbains s’est entretenu avec l’autrice pour en apprendre davantage sur le processus de création du spectacle et discuter de bienveillance et de responsabilité.

Quelle est la genèse du projet Les Glaces? Quelle a été votre principale source d’inspiration?

Dans tout le premier mouvement de dénonciation, il y a quatre ou cinq ans, j’avais envie de trouver ma façon de prendre part à ce débat-là. Et je suis extrêmement nulle pour débattre, dans la vie! Ma façon de réfléchir et de me poser des questions sur l’être humain, de comprendre quelque chose du monde, en général, c’est d’écrire du théâtre.

La vie a fait en sorte que j’ai mis un peu le projet sur pause. Puis, il y a un an, j’ai eu une résidence d’écriture à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, en association avec le Centre des auteurs dramatiques. J’avais alors accès à ce que je voulais comme archives. J’ai fait énormément de lecture de correspondances amoureuses, pour voir comment le désir s’exprimait à travers les époques. Et, à un moment donné, je suis tombée sur le discours d’ouverture de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, la première fédération féministe québécoise, de Marie Gérin-Lajoie. C’était en 1907. Dans son allocution, elle parle de solidarité féminine, de sororité, de l’importance de l’éducation dans toutes les questions d’ordre sexuel.

Ç’a été comme une révélation. À l’heure actuelle, certains affirment que le débat sur la violence sexuelle est un effet de mode. Non, ça fait des centaines d’années qu’on essaie d’en parler, que ce sujet-là tente d’exister! Si on en parlait déjà au début des années 1900 et qu’on n’a autant pas avancé, qu’est-ce que ça veut dire pour notre avenir?

Lorsque j’ai repris mon travail, ça a changé un peu l’axe dramaturgique de mon texte. C’est-à-dire que, il y a cinq ans, j’étais plus proche des deux garçons qui ont posé un geste de violence sexuelle. Et là, j’ai modifié ma perspective et je me suis davantage rapprochée des personnages féminins, pour créer un espace de solidarité féminine qui traverse la pièce. Et il y a énormément de moi aussi, dans ce spectacle-là. De toute façon, je pense que, chaque fois que quelqu’un écrit, c’est pour essayer de réparer quelque chose. Du moins, c’est mon cas.

Dans la pièce, on suit les protagonistes dans le présent, mais également il y a 25 ans. C’était essentiel pour vous, ce retour dans le passé?

Oui, tout à fait! On ne lisait pas les événements de la même façon, il y a 25 ans. Si ces hommes-là avaient posé ce geste de violence sexuelle il y a six mois, on n’aurait pas d’empathie pour eux. Mais, avec le recul et parce qu’eux-mêmes regardent l’adolescent qu’ils étaient… En tout cas, moi, ma porte d’humanité et de bienveillance est plus facile à ouvrir. Le rapport au temps est très important parce que, sinon, je n’aurais pas pu aborder ces personnages-là avec le respect que j’ai pour eux.

Ça me confronte beaucoup, comme être humain, de revisiter ce que j’ai vécu, ce que mes amis ont vécu. Il y a une introspection qui s’opère, inévitablement. Personnellement, je regarde des épisodes de mon passé et je peux vraiment dire : ah, mon Dieu, cette fois-là, j’ai dépassé une limite ou, cette fois-là, je n’ai pas mis ma limite! Les dernières années m’ont permis de comprendre que j’avais le droit de dire non et je ne me donnais pas nécessairement la permission de le faire, avant.

Voilà pourquoi j’avais envie de raconter une histoire qui s’est passée il y a longtemps, pour que les protagonistes soient capables d’avoir une distance, même émotive. Ils ont tout mis dans des glaces et ça va dégeler, au cours de la pièce.

Rébecca Déraspe. Photo : Harrison Rupnik.

Vous abordez souvent des thèmes graves, mais toujours dans la nuance et la bienveillance. Jamais vous ne jugez les personnages, jamais vous ne les condamnez.

Dans mon rapport à l’écriture, j’ai besoin d’être en contact avec des êtres humains, qui sont complexes. Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc, c’est toujours nuancé. C’est d’autant plus important avec un sujet comme celui des Glaces. C’est facile de condamner, mais je n’avais pas envie de le faire. Évidemment, il ne faut pas tomber dans l’impunité non plus, mais juste condamner, ça ne règle pas le problème.

Vous ne prétendez pas, avec votre spectacle, apporter de solution au fléau de la violence sexuelle. Votre contribution au débat se situe plutôt dans la réflexion, la discussion.

Je suis juste une petite fille de 39 ans, qui n’a pas les ressources pour dire ce qu’il faut faire. Je veux plutôt qu’on se demande : qu’est-ce qu’on doit faire de plus, en tant que société? Je souhaite qu’on réfléchisse tous ensemble, en assumant le fait qu’on est des êtres humains qui essaient de comprendre un enjeu.

Il y a également le thème de la famille qui est omniprésent dans la pièce. Quelqu’un qui a posé un geste répréhensible est aussi un fils, un frère, un conjoint… Son entourage est également victime collatérale des conséquences de son acte.

Complètement! Comment on fait pour continuer d’aimer quelqu’un qui a fait quelque chose avec lequel on est viscéralement en désaccord? Moi, je pense que si la personne a le courage d’assumer les conséquences de son geste et le désir de réparer quelque chose, il y a une piste de réflexion à explorer.

Lorsqu’on aborde un sujet aussi délicat que la violence sexuelle, est-ce qu’on travaille d’une manière différente avec les comédiens masculins et féminins?

On a une équipe incroyable et généreuse. Ça a amené des conversations très sensibles. Je sens les hommes extrêmement touchés par mon texte. Et, chaque fois qu’il y a un enchaînement, tous les hommes présents pleurent. J’essaie de comprendre pourquoi ça les bouleverse à ce point. Est-ce qu’ils revisitent certains souvenirs dans leur tête? J’extrapole, mais je ne suis pas nécessairement capable de mettre des mots sur la réaction des comédiens. Ce qui est sûr, c’est que l’équipe est composée de sensibilités bienveillantes et que les artistes apprennent beaucoup au contact de cette matière.

Quel impact souhaitez-vous que le spectacle ait sur le public?

J’ai vraiment envie que le spectateur sorte avec le désir de discuter, le courage de revisiter sa propre histoire, le courage de la solidarité concrète. J’ai l’impression qu’on est beaucoup dans les discours. Il y a des réflexes qui sont extrêmement ancrés en nous. Et, parfois, et je vais parler pour moi, le concret ne suit pas toujours le discours, notamment dans l’intimité des relations. Si une amie te confie quelque chose, auras-tu les mains tendues? Tes idéaux, est-ce que tu les incarnes tout le temps? Appliquer sa vision du monde au quotidien, c’est ça, le défi. Ça m’a fait prendre conscience de l’ampleur du courage que ça demande.

Je me questionne sur les espaces de solidarité, également. Je pense entre autres au documentaire T’as juste à porter plainte, de Léa Clermont-Dion, qui est vraiment incroyable. Elle montre à quel point c’est difficile pour la victime, qui devient aussi une suspecte aux yeux de certains et dans la salle d’audience. C’est ça aussi qui doit changer. C’est ce que j’essaie de dire, dans le spectacle. On a une responsabilité collective, notamment dans l’éducation de nos enfants. Il y a une piste de solution pour l’avenir dans tout ça.

Quel est le plus grand défi que vous avez dû surmonter dans la création de la pièce?

On est tous hyper conscients du sujet, de l’impact que ça peut avoir, de façon positive ou négative. Est-ce qu’on en parle de la bonne façon? Je n’ai vraiment pas envie d’être démagogique, d’être dans le tout noir ou tout blanc.

Je pense que, la clé, c’est de le faire pour les bonnes raisons, c’est-à-dire, à mon avis, pour essayer de comprendre ce qu’on doit faire, en tant que société.

Depuis la première vague du mouvement #MeToo, il y a eu de nombreux documentaires, fictions, prises de parole publiques sur le sujet de la violence sexuelle. Avez-vous craint, pendant le processus de création, que la population devienne un peu saturée à propos de ce sujet?

Bien sûr! Mais je pense que c’est un angle qu’on n’a pas nécessairement vu encore, dans les différentes productions. Et je pense que je raconte une bonne histoire, celle d’une famille. On évoque un point de saturation, un discours qui se poursuit dans l’espace public, mais rien ne se passe concrètement! Moi, mon outil, c’est le théâtre. C’est ma façon de mettre ma pierre dans l’édifice, de participer à la réflexion collective.

Les Glaces, de Rébecca Déraspe, mise en scène par Maryse Lapierre, est présentée du 4 octobre au 5 novembre 2022, au Théâtre La Licorne, à Montréal, puis du 23 au 26 novembre 2022, au Théâtre Alphonse-Desjardins, à Repentigny, le 1er décembre 2022 au Centre culturel Berger, à Rivière-du-Loup, et du 10 janvier au 4 février 2023 au Théâtre La Bordée, à Québec.

Pour toutes les infos, c’est ici.

CRITIQUE DU SPECTACLE NOUS SERONS ÉTERNELS, MIS EN SCÈNE PAR PATRICK R. LACHARITÉ.

Texte : Karine Tessier

Photo : Maxim Paré Fortin.

Le maître de cérémonie (Yann Villeneuve), vêtu telle une souveraine élisabéthaine, déclame des vers shakespeariens d’une voix singulière, travaillée. Sa performance est brève, mais sa présence captive. L’artiste est charismatique, un peu à la manière des icônes du glam rock.

Derrière un rideau diaphane, le MC prend place sur le trône au fond de la scène, occupée par une douzaine d’acteurs. Ceux-ci, habillés de fringues aux couleurs saturées, dansent chacun pour soi sur des rythmes électroniques hypnotiques, signés Y pop coit. Ce défouloir épuisant les fait se rapprocher de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un groupe qui saute à l’unisson, sur un beat qui rappelle les pulsations cardiaques.

Tâchant de reprendre leur souffle, ils s’assoient en bord de scène. Sauf une actrice, qui, lentement, sensuellement, se dénude et s’enduit de boue. Transformée ainsi en déesse de la mythologie antique, elle se dirige de l’autre côté de la scène, garni de faux gazon et de quantité de fleurs de plastique multicolores. C’est vers ce jardin d’Éden synthétique que la rejoindront les autres, en se mouvant au ralenti sur le sol.

Ainsi s’ouvre Nous serons éternels, d’après les sonnets de Shakespeare, la dernière création du metteur en scène Patrick R. Lacharité et de La Fratrie. Pendant un peu plus d’une heure, les rimes de l’écrivain anglais seront revisitées en français, en anglais, en mouvement, en chanson.

Cette relecture de ces poèmes écrits au 17e siècle, en collaboration avec le dramaturge William Durbau, est aussi brillante qu’astucieuse. On y met de l’avant des thèmes chers à Shakespeare, comme l’amour, la luxure, la trahison, la cruauté du monde, en soulignant leur intemporalité. Mais on se défait en même temps des codes élisabéthains. Ici, la passion amoureuse et charnelle est épanouie, et non sujette au châtiment. Quant à la vengeance, bien qu’encore douloureuse, elle verse généreusement dans l’absurde.

Dans cet emballant exercice de style, certaines scènes se démarquent. À chacune des présences de Sébastien Tessier, en animateur de discussion féru de l’œuvre shakespearienne, les éclats de rire retentissent. Le public craque totalement pour l’humour décalé du comédien et les malaises délicieux créés par son personnage.

Photo : Maxim Paré Fortin.

Dans un tout autre registre, le numéro de danse de Natacha Filiatrault est à couper le souffle. Son énergie brute prend toute la place, alors qu’elle exécute une sorte de danse de la séduction, passant de mouvements bruts inspirés du krumping à des gestes très sexuels. Au sol, elle termine sa performance en récitant des rimes, le souffle court et le regard intense.

Quant à Alexa-Jeanne Dubé, assise dans l’espace gazonné et fleuri, elle règle ses comptes avec un amoureux qui l’a trahie, se plongeant la tête à répétition dans un seau d’eau métallique. Une illustration si juste de cet état quelque part entre le désespoir et l’autodérision qui nous anime en période de rupture amoureuse.

Photo : Maxim Paré Fortin.

La proposition de Patrick R. Lacharité et de La Fratrie est une réflexion pertinente sur l’intemporalité, qui se déroule dans un univers onirique. On s’y interroge sur notre envie d’éternité. Ne s’agit-il que d’une manifestation de notre ego surdimensionné, d’un besoin croissant d’être vu, en cette ère de selfies et d’autopromotion sur les médias sociaux? Ou désire-t-on plutôt transmettre aux générations futures des valeurs, des œuvres artistiques, un héritage, que l’on croit menacés en ces temps où le monde semble courir à sa perte?

Nous serons éternels n’apporte pas toutes les réponses aux questions qui nous animent. Ce spectacle ludique et débridé sert plutôt à nous faire prendre conscience de l’absurdité de la vie. Pourquoi s’interroger sur l’éternel, alors que la pérennité de notre monde nous semble de moins en moins sûre, à une époque où les conflits armés, les catastrophes naturelles et les manifestations de repli identitaire défraient la manchette au quotidien? Laissons plutôt nos pulsions de vie triompher pendant qu’il en est encore temps. Ce qui importe, c’est le temps qu’il nous reste.

Nous serons éternels, mis en scène par Patrick R. Lacharité, est présenté à La Chapelle, Scènes contemporaines, du 23 au 28 avril.

Toutes les informations : lachapelle.org/fr/nous-serons-eternels-dapres-les-sonnets-de-shakespeare

Texte : Karine Tessier

Photo : Andrée Lanthier.

Alors que la noirceur tombe dans la salle du Centaur Theatre, les premières notes de Power de Kanye West résonnent. Une pièce dont les paroles, de la bouche même du rappeur américain, représentent un hymne au super-héros, tout en abordant les thèmes de la critique, du désespoir et du suicide. Une œuvre qui illustre à la fois la force de la communauté noire américaine et les combats qu’elle mène toujours contre les inégalités sociales.

Au son de cette puissante mélodie, s’installent sur scène Pharus et ses copains de la chorale de la Charles R. Drew Prep School, Bobby, A.J., David et Junior. À la fin de l’année scolaire, le groupe est chargé d’interpréter l’hymne de l’école, Pharus en tête. Lorsqu’un de ses camarades lui murmure des quolibets homophobes, le jeune homme cesse de chanter, ce qui irrite le directeur Marrow. Quand celui-ci demande des comptes à Pharus, l’élève refuse de dénoncer son collègue, affirmant que ça ne respecterait pas le code d’honneur de l’institution d’enseignement. Mais, l’automne venu, alors que Pharus est en dernière année et à la tête de la chorale, il a bien l’intention de se venger.

Photo : Andrée Lanthier.

Choir Boy, de Tarell Alvin McCraney et mise en scène par Mike Payette, ouvre la saison du Centaur Theatre, qui fête cette année son 50e anniversaire. Un choix qui reflète l’audace de cette institution montréalaise, qui a toujours fait la part belle à la diversité dans sa programmation. Le drame musical a été joué pour la première fois en 2012, au Royal Court Theatre de Londres. Et, en décembre prochain, il sera monté à Broadway, au Manhattan Theatre Club. Dire que cette première new-yorkaise est attendue relève de l’euphémisme, alors que se multiplient les critiques élogieuses dans les médias nord-américains et européens.

Auteur de plusieurs pièces, le dramaturge McCraney s’est fait connaître par plusieurs en remportant, avec le réalisateur Barry Jenkins, l’Oscar du meilleur scénario – adaptation pour le film Moonlight, lors de la cérémonie des Academy Awards de 2017. Un coming-of-age bouleversant, qui aborde les thèmes des identités afro-américaine, masculine et sexuelle. Des sujets rarement abordés dans une même création, que ce soit sur les planches ou au grand écran.

Dans Choir Boy, les mêmes thématiques complexes. On y suit le cheminement d’un groupe d’adolescents noirs, pensionnaires d’une école privée. Entre les murs de l’institution, véritable microcosme de la société américaine, ils seront déchirés entre amitiés et rivalités. Bien difficile, en effet, de faire abstraction de l’intolérance ou de la jalousie d’autrui, quand la construction de notre propre identité passe par le regard de l’autre. Ces garçons dans la fleur de l’âge prendront conscience que, si un monde de possibilités s’ouvre à eux, les obstacles qui jalonneront la route qui les sépare de leurs rêves sont légion.

Dans le rôle principal, le charismatique Steven Charles campe un Pharus aussi flamboyant qu’attachant, dont la résilience est inspirante. À ses côtés, Lyndz Dantiste émeut par la compassion et l’ouverture qu’il insuffle au personnage de A.J., joueur dans l’équipe de baseball du lycée et cochambreur de Pharus. La complicité entre les deux acteurs offre au public certaines des plus belles scènes du spectacle, dont l’inoubliable moment où A.J. coupe les cheveux de son ami, qui refuse de se rendre chez le barbier, où on se moquait de lui alors qu’il était enfant.

Photo : Andrée Lanthier.

À leurs côtés, Patrick Abellard offre une performance toute en nuances. Son Bobby, qui n’hésite pas à faire appel à l’intimidation pour faire sa place, dévoile peu à peu sa vulnérabilité. Christopher Parker est quant à lui solide dans son interprétation de David, un jeune homme chrétien troublé. Si le personnage de Junior se fait plus discret dans l’histoire de Choir Boy, Vlad Alexis vole la vedette à chacune de ses apparitions, grâce à un talent de comique hors du commun.

Les cinq jeunes bourrés de talent sont épaulés par deux artistes d’expérience, qu’on a déjà vus sur les planches du Centaur Theatre : Quincy Armorer, aussi directeur artistique du Black Theatre Workshop, dans le rôle de l’autoritaire directeur Marrow, et Paul Rainville, dont le Mr. Pendleton tentera d’enseigner aux élèves à développer leur créativité. Tous deux livrent leurs lignes avec un sens du rythme sans faille.

Photo : Andrée Lanthier.

La distribution impressionne tout autant dans les numéros musicaux, exécutés avec énergie et passion. Si les opinions et les caractères des cinq jeunes les divisent, leurs voix s’unissent à la perfection. Les pièces gospel témoignent de l’histoire complexe des États-Unis et des luttes de la communauté afro-américaine, qui subit, encore aujourd’hui, les contrecoups de l’esclavage. Leur interprétation a cappella met en valeur les histoires tragiques qu’elles racontent.

Une scène inoubliable : la chanson Motherless Child, livrée sous la douche par les élèves. Baignés d’une lumière éthérée, les adolescents chantent cette pièce traditionnelle décrivant la séparation des esclaves d’avec le continent africain, leur culture, leur famille. Ici, Motherless Child fait également écho à la solitude des garçons, séparés de leurs parents et se sentant incompris par le monde qui les entoure. Chapeau au directeur musical de Choir Boy, Floydd Ricketts, aussi chef du McGill University Chorus, qui a su rendre les mélodies pertinentes et modernes, tout en respectant leur importance historique.

On s’en voudrait de ne pas mentionner le travail inspiré de Rachel Forbes, dont la scénographie, astucieuse, permet de maximiser l’espace, tout en situant l’action dans une demi-douzaine de lieux. Les décors, magnifiques, sont mis en valeur par les éclairages élégants conçus par Andrea Lundy.

Photo : Andrée Lanthier.

Choir Boy se veut une réflexion nuancée sur l’identité et le respect des traditions, qui provoque le spectateur en le confrontant à ses propres préjugés. Comment concilier héritage culturel et émancipation? Une question encore plus difficile à se poser lorsqu’elle s’ajoute aux interrogations inhérentes à l’adolescence, aux rêves et aux peurs caractéristiques de l’âge tendre. Une pièce au cœur grand comme le monde, dont l’intelligence n’a d’égal que sa grande beauté.

Choir Boy, de Tarell Alvin McCraney, mise en scène par Mike Payette, est présentée du 9 au 28 octobre 2018, au Centaur Theatre, à Montréal.

Toutes les informations ici : www.centaurtheatre.com/choir-boy.html

Texte : Karine Tessier

Visuels créés par les artistes Pénélope et Chloë.

Du 25 mai au 3 juin, à Montréal, les murs s’abattent. Entre les différentes disciplines artistiques. Entre ceux qui foulent les planches et le public. Mais aussi dans les profondeurs insondables de notre imaginaire. À OFFTA, festival d’arts vivants, on laisse à une cinquantaine d’artistes du théâtre, de la danse et de la performance tout l’espace nécessaire pour créer. Pour cette 12e édition, ils s’interrogent sur les frontières, un thème aussi rassembleur que polarisant. Morceaux choisis d’une programmation débridée, qui fait la part belle à l’hybridité.

Danse Mutante, c’est le relai chorégraphique imaginé par l’incontournable Mélanie Demers et sa compagnie MAYDAY. Prenant racine dans la métropole, la création poursuivra sa route à New York, Bamako, Anvers/Rotterdam, avant de se poser à nouveau à Montréal, à l’automne 2019, à l’occasion d’un événement-marathon. On savourera chaque mouvement esquissé par Francis Ducharme et Riley Sims, sur des mélodies de Mykalle Bielinski.

Si vous êtes charmé par les rimes et les notes envoûtantes de cette dernière, sachez qu’elle proposera, à OFFTA, son concert immersif Mythe, où s’entrelacent chant polyphonique, poésie orale et improvisation. La communion de six femmes, qui chanteront leur rapport au temps, à l’autre, à elles-mêmes.

À mille lieues de l’univers éthéré de Mykalle Bielinski, MAC(DEATH), de Jocelyn Pelletier. Sur scène, l’œuvre de Shakespeare prend des airs de concert métal. L’artiste fait un doigt d’honneur aux codes traditionnels, désireux de faire résonner les classiques ici et maintenant.

Il y a 70 ans, ce sont les signataires du manifeste Refus global qui se questionnaient sur les contraintes sociales. Leur percutant texte trouve-t-il encore écho auprès des Québécois, des décennies après sa parution? L’exposition Refus Contraire, à laquelle une vingtaine d’artistes et d’intellectuels ont contribué, se penche sur la question. À voir à la Galerie de l’UQAM, du 16 mai au 16 juin.

Vous vous passionnez pour l’envers du décor? Tendez l’oreille à la quotidienne OFF.Radio, qui proposera, tout au long du festival, des panels et des performances en lien avec sa programmation. Les émissions, enregistrées au Monument-National, seront disponibles sur les différentes plateformes de l’événement. Parmi les thèmes abordés : la notion de frontière dans le processus de création, la mémoire collective, les arts du cirque.

Pour son œuvre performative et expérimentale Nous serons universel.le.s, Kamissa Ma Koïta s’est nourrie autant des approches féministes, des mouvements altermondialistes et queer, que de la culture populaire. Une expérience immersive, où vous vous interrogerez sur les notions de privilèges sociaux.

L’une des six résidences de création présentées lors de cette 12e édition d’OFFTA, le projet Après la rue, de Mireille Camier et Ricard Soller i Mallol, juxtapose les récits de quatre artistes qui ont vécu de l’intérieur un mouvement de contestation populaire d’importance : la révolution verte à Téhéran en 2009, la révolution du jasmin à Tunis en 2011, les indignés à Barcelone en 2011, ainsi que le printemps érable à Montréal en 2012.

Aalaapi ᐋᓛᐱ, c’est un laboratoire conçu à partir d’un documentaire radiophonique, fruit d’une collaboration entre Québécois et Innus, qui donne la parole à des jeunes de 20 à 32 ans, qui se confient sur leurs passions, leurs peurs, leurs doutes.

Finalement, un rendez-vous incontournable de ce festival d’arts vivants, le MixOFF – Frontières & Boundaries, le résultat de plusieurs semaines de rencontres entre artistes et chercheurs, qui ont réfléchi ensemble sur le thème des frontières.

Pour tout savoir sur la programmation : offta.com

CRITIQUE DE LA PIÈCE QUAND LA PLUIE S’ARRÊTERA, D’ANDREW BOVELL, TRADUITE ET MISE EN SCÈNE PAR FRÉDÉRIC BLANCHETTE

Texte : Julie Baronian

C’est dans une atmosphère lugubre de fin du monde, avec des pluies perpétuelles et des inondations – sujet qui, étrangement, ne saurait être plus d’actualité – que s’ouvre la nouvelle saison de Duceppe. Quand la pluie s’arrêtera, d’Andrew Bovell, est une pièce dramatique et poignante. Des pans de vie entremêlés de quatre générations d’une même famille, sur deux continents, nous y sont révélés. Et les personnages de la pièce vivent drame après drame.

La pièce débute en Australie, en 2039, lorsqu’un poisson tombe aux pieds de Gabriel York, tel que l’avait prédit son grand-père en 1959, présageant la fin du monde. Attendant la visite de son fils Andrew, qu’il n’a pas vu depuis 20 ans, il décide de faire cuire ce poisson pour leur dîner. Puis, à Londres, en 1988, Gabriel Law décide de partir pour l’Australie, pour tenter de retracer son père Henry, disparu depuis des années. Et à travers leurs histoires, il y a aussi celles d’Elizabeth et Henry Law, en 1959, et de Gabrielle York et son mari Joe Ryan, en 2013.

Bien que le spectateur essaiera inévitablement de démêler le tout – époques, lieux et personnages – dans une gymnastique mentale quelque peu laborieuse, et que mille et une questions surgiront dans son esprit tout au long du spectacle, il ira de surprise en surprise et sera captivé. La force de cette pièce de Bovell réside justement dans son intelligente complexité.

On nous parle ici de drames familiaux, de cycles qui se répètent, de ce qui se transmet de génération en génération, de ce qu’on lègue à nos enfants, des répercussions de nos gestes… Mais il s’agit là, par le fait même, d’une judicieuse métaphore sur les nombreux bouleversements causés par les changements climatiques, dont nos propres actions en sont la source. Alors que les personnages de la pièce répètent les mêmes abandons, les mêmes trahisons, les mêmes erreurs, génération après génération, mais qu’ils se parlent, agissent, essaient de se sortir des drames de leur passé qui les hantent… peut-être est-il trop tard pour la planète et pour que les êtres humains changent leur façon de vivre sur celle-ci?

Andrew Bovell a créé Quand la pluie s’arrêtera en 2008, en Australie. Sa pièce a ensuite été présentée à New York en 2010, puis dans plusieurs pays à travers le monde, dont l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni, où elle a été partout acclamée. Elle a récolté de nombreux prix, entre autres en Australie et aux États-Unis.

Le texte est superbement bien traduit par Frédéric Blanchette, qui en a aussi assuré la mise en scène. Une mise en scène épurée, mais parfaite, qui relevait assurément du défi, avec ses va-et-vient continuels dans l’espace et dans le temps. Le décor est simple, mais inventif : de multiples cordes qui pendent, pour illustrer la pluie qui tombe, un plancher luisant, comme s’il était mouillé, une fenêtre, des chaises. Quelques accessoires : parapluies, valise, chapeaux, bols de soupe…

Le jeu des neuf acteurs est tout à fait juste, sans être larmoyant, avec une retenue d’émotions qui accentue le mystère. De belles découvertes, dont Véronique Côté et Paule Savard, deux comédiennes de Québec qui foulent les planches de Duceppe pour la première fois et qu’on aimerait revoir plus souvent à Montréal. Effectivement, puisque cette pièce est une coproduction avec Le Trident et Lab87, plusieurs rôles sont campés par des comédiens provenant de la capitale.

Dans le contexte actuel du réchauffement climatique et des inondations que nous connaissons, cette pièce en est une nécessaire. À quel point l’héritage laissé par nos ancêtres nous façonne-t-il? Peut-on échapper à notre passé? Sommes-nous condamnés à répéter incessamment les mêmes erreurs malgré nous? Peut-on garder une lueur d’espoir pour nous et pour notre monde? Pertinente et intelligente, la pièce de Bovell nous amène prises de conscience et réflexions… Un spectacle qui donne comme l’effet vitaminé d’une bonne soupe au poisson pour le cerveau.

La pièce Quand la pluie s’arrêtera, d’Andrew Bovell, traduite et mise en scène par Frédéric Blanchette, est présentée du 6 septembre au 14 octobre 2017 au Théâtre Jean-Duceppe.

Pour toutes les informations : duceppe.com/a-l-affiche/quand-la-pluie-sarretera

ENTREVUE AVEC QUENTIN BRUNO, CHANTEUR, DANSEUR ET COMÉDIEN

Texte : Karine Tessier

Lundi, en début de soirée, au Cabaret Café Cléopâtre. Le musicien montréalais Ian Baird est au piano, alors que les six artistes de la troupe travaillent une chanson du spectacle Naked Boys Singing, dont la première québécoise aura lieu deux jours plus tard, dans le cadre de Fierté Canada Montréal 2017.

Lorsqu’ils débarquent dans une ville pour y présenter leur comédie musicale, les chanteurs, danseurs et comédiens doivent faire de petits ajustements, s’adapter aux lieux, répéter avec le pianiste (un musicien local est choisi pour chaque arrêt de la tournée). Mais, cette fois, à Montréal, les choses se sont compliquées. Deux des membres du groupe ont dû s’absenter pour des raisons familiales et ont été remplacés, seulement 48 heures avant la première représentation devant le public.

« Je n’ai aucun souci, lance en souriant Quentin Bruno, un des interprètes du spectacle, en prenant place à nos côtés le temps d’une brève entrevue. On va travailler demain, on va travailler mercredi matin… Mercredi soir, on aura quelque chose de parfait pour les spectateurs de la métropole. »

Changement de costume

Le Franco-Américain de 27 ans, qui a étudié la danse et le théâtre musical autant aux États-Unis qu’en France, est un touche-à-tout. Il bosse sur les planches, à la télévision, comme mannequin, en plus d’être auteur-compositeur-interprète. Il fait partie de la bande de Naked Boys Singing depuis bientôt un an.

« J’avais déjà fait quelques performances nu, mais c’était des œuvres très contemporaines. Alors, c’était un peu différent, se souvient Quentin Bruno. Les premières fois devant un public, on se demande : oh, mon Dieu, pourquoi je fais ça? Il y a une petite appréhension. Pendant 15 secondes. Et, après, on réalise qu’on est là pour raconter une histoire, et on oublie. La nudité devient notre costume. On s’habitue. Parce que, en fait, on n’est pas dans l’intimité, on est sur une scène. C’est comme aller à une plage naturiste! »

Tous identiques

Si Naked Boys Singing est présenté sur la route depuis un an, il est à l’affiche Off-Broadway depuis 1999. D’abord une comédie, la revue musicale se veut également touchante et nostalgique.

Les six gars de la troupe ne ménagent pas les efforts pour faire rigoler les spectateurs, mais espèrent tout autant faire ressentir des choses à ceux qui viennent les voir. Au fil de la quinzaine de chansons qui composent la pièce, des histoires se développent, des relations naissent. On y parle de désir, d’amour, d’être soi-même.

« C’est vraiment une œuvre universelle, affirme Quentin Bruno. Notre public est, certes, homosexuel, mais on attire toutes sortes de monde. Parce que le but final, c’est de dire : quand on est nus, on est tous identiques. On a tous un corps, on est tous des êtres humains sensibles. »

Naked Boys Singing est-elle donc une création engagée? Le volubile interprète fait une pause, choisit ses mots. « Je ne sais pas si, en lui-même, le spectacle a un message engagé. Je pense que la période et le monde dans lesquels on vit font qu’il est peut-être plus engagé qu’il ne l’était auparavant. »

Pour Orlando

Si la revue présentée ces jours-ci à Montréal n’est pas d’emblée porteuse d’un message politique, elle est on ne peut plus symbolique pour les artistes qui l’interprètent, qui tous vivent ou ont travaillé à Orlando, en Floride, là où, en juin 2016, une fusillade a fait près d’une cinquantaine de morts au Pulse, une boîte de nuit populaire dans la communauté LGBTQ. Une attaque revendiquée par le groupe État islamique.

« C’est un peu un échange culturel commémoratif, explique Quentin Bruno. C’est une façon de ne pas oublier ce drame et aussi de sensibiliser les gens. Qu’il y ait eu des tragédies comme celles du Pulse ou du Bataclan, à Paris, où j’ai vécu, ne doit pas nous empêcher de sortir. Continuons à vivre, à grandir en tant que communauté humaine, à se rassembler, à aller au théâtre, à boire des coups, à voir des choses qui sont belles, à être touchés. Soyons humains. »

Naked Boys Singing, créé par Robert Schrock, mis en scène par Tim Evanicki et produit par Acts to Grind Theatre, est présenté du 16 au 20 août 2017 au Cabaret Café Cléopâtre de Montréal, dans le cadre de Fierté Canada Montréal 2017.

Pour toutes les informations : www.fiertemontrealpride.com/project/naked-boys-singing

Page Facebook officielle de la compagnie Acts to Grind Theater : www.facebook.com/actstogrind

Site Web officiel de Quentin Bruno : www.iamquentinbruno.com

 

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CRITIQUE DE LA PIÈCE LA VAGUE PARFAITE, DE GUILLAUME TREMBLAY ET OLIVIER MORIN, MISE EN SCÈNE PAR GUILLAUME TREMBLAY

Texte : Karine Tessier

En 2016, à l’affiche au Théâtre Espace Libre, puis au Théâtre Aux Écuries, La Vague parfaite avait cartonné. Présentée à guichet fermé dans les deux salles, la pièce avait ravi à la fois le public et les critiques. Le Théâtre du Futur complète cet été son tour du chapeau en présentant son opéra surf au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dans le cadre des festivités entourant le 375e anniversaire de Montréal.

Photo : Toma Iczkovits.

Quelque part entre demain et dans 100 ans, sur l’île de Tahiti, une dizaine de jeunes athlétiques et bronzés coulent des jours heureux. Une existence de rêve faite de jus verts, de yoga, de surf et de polyamour. Mais leur vie n’est pas sans défi! En effet, les membres des deux clans, les Cools et les Wannabes, multiplient les efforts pour atteindre le sommet de la hiérarchie du groupe.

Les changements climatiques ayant déréglé la planète, on annonce l’arrivée prochaine d’un tsunami, que nos joyeux surfeurs considèrent comme la vague parfaite, sorte de Saint Graal pour les amateurs de planche. Ils y voient l’occasion idéale pour réaliser l’exploit d’une vie et, ainsi, atteindre le plus haut niveau de coolness.

Photo : Toma Iczkovits.

Lorsque le raz-de-marée déferle sur leur paradisiaque île du Pacifique, certains perdent la vie, alors que les autres trouvent refuge sur un radeau construit avec des planches de surf. Est-ce la fin de l’espoir pour ces demi-dieux, comme « un sandwich au beurre de peanuts de quelqu’un allergique au beurre de peanuts »? Ou trouveront-ils asile dans un autre pays ou même sur Tahi Slande 3D, une bulle en verre?

En 2012, le Théâtre du Futur nous avait offert sa première production, un opéra rock désopilant sur le controversé expert en marketing Clotaire Rapaille. Dès le départ, Guillaume Tremblay, Olivier Morin et l’auteur-compositeur-interprète Navet Confit ont choisi de créer des œuvres critiquant de façon acerbe la société dans laquelle nous vivons, le tout enrobé d’un humour aussi absurde que délicieux.

Photo : Toma Iczkovits.

La Vague parfaite ne fait pas exception. Dans ce délire irrévérencieux, on se moque allègrement de ces douchebags trop occupés à se regarder le nombril pour se préoccuper des autres habitants de leur île ou des conséquences des changements climatiques. On se paie la gueule de ceux qui misent tout sur l’apparence et la branchitude. Et on observe avec sarcasme une société qui voue un culte à la performance, tout en faisant l’apologie du mieux-être et de la relaxation. Une fable d’anticipation, certes, mais dans laquelle on se reconnaît tous au moins un petit peu.

Photo : Toma Iczkovits.

Derrière ce bordel hautement jouissif, se cache une démarche artistique aussi riche que rigoureuse. Les rôles principaux sont incarnés par des interprètes lyriques à la technique impeccable, qui chantent, en plusieurs langues, avec une intensité dramatique des textes déjantés, ponctués de « dudes » et de propositions grivoises. Le tout sur des mélodies complexes, magnifiques, jouées sur scène par le talentueux Philippe Prud’homme.

Photo : Toma Iczkovits.

À l’instar des opéras plus traditionnels, des surtitres sont projetés sur un écran, afin de traduire les chansons. Un procédé qui, entre les mains de ces comiques créateurs, ne sera qu’un moyen de plus de faire rigoler le public. Et ce n’est qu’une des références aux productions lyriques que l’on retrouve dans La Vague parfaite. Les auteurs du spectacle, se donnant comme mission de décloisonner l’opéra, s’en sont donné à cœur joie, comparant le sommeil des personnages sur le radeau « au deuxième acte à l’Opéra de Montréal » et projetant sur une planche de surf le visage de Marc Hervieux, qui surmonte un corps aux abdominaux d’acier.

Photo : Toma Iczkovits.

La dernière production du Théâtre du Futur propose au public montréalais le mélange idéal pour la saison d’été : un humour osé, des airs irrésistibles, des artistes de talent, ainsi qu’une réflexion pertinente sur les travers du monde dans lequel on vit. Si vous n’avez pas assisté à l’une des représentations de cette pièce en 2016, c’est votre chance. Allez, laissez-vous emporter par la vague!

La Vague parfaite, de Guillaume Tremblay et Olivier Morin, mise en scène par Guillaume Tremblay, est présentée les 20 et 21 juin, puis les 6, 7, 9 et 10 juillet, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal.

Pour toutes les informations : www.theatredaujourdhui.qc.ca/vagueparfaite

 

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CRITIQUE DE LA PIÈCE LES LAISSÉS POUR CONTES, D’UN COLLECTIF D’AUTEURS, MISE EN SCÈNE PAR VALÉRIE LE MAIRE

Texte : Karine Tessier

Des histoires qui auraient pu nous arriver, à vous comme à moi. Des gens ordinaires, qui deviennent chacun à leur façon des héros extraordinaires. Des personnages qui prennent leur courage à deux mains pour s’affirmer, exiger le respect, confier leurs regrets, défricher des terrains jusqu’ici inexplorés au fond d’eux-mêmes, dénoncer des événements tragiques.

Le courage, c’est le thème de la cinquième édition des Laissés pour contes, une pièce présentée du 16 au 27 mai 2017 aux Ateliers Jean-Brillant, dans le quartier Saint-Henri, à Montréal. Suite à un appel de textes, sept contes urbains ont été sélectionnés et sont joués devant public dans un spectacle déambulatoire. La mise en scène de Valérie Le Maire privilégie la proximité entre l’assistance et les acteurs. Le public, séparé en petits groupes, visite les « ruelles des contes », dans lesquelles se retrouvent sept univers multisensoriels. Le sculpteur Jean Brillant signe la scénographie de l’œuvre, élaborée à partir de sa collection de sculptures, faites de matériaux naturels et industriels.

Le comédien David Bélanger, dans le conte « Madeleine », de Marianne Moisan. Photo : Thomas L. Archambault.

Dans Madeleine, de Marianne Moisan, un jeune homme (David Bélanger), nous raconte l’histoire de Madeleine, une cliente régulière au dépanneur où il bosse. Une femme qui rêvait de faire fortune. Entre une bouchée de croustilles et une rasade de boisson gazeuse, le jeune spécule sur ce qui a bien pu arriver à Madeleine, qui s’est mystérieusement mise à changer. Aurait-elle finalement remporté le gros lot? Un conte sur la foi, mais également la peur du changement, qui nous fait prendre conscience que c’est souvent le fait même de rêver qui nous rend heureux, et non la réalisation de nos souhaits les plus fous.

La comédienne Tania Kontoyanni dans le conte « Bleu Néon », de Pierre-Marc Drouin. Photo : Thomas L. Archambault.

La création de Pierre-Marc Drouin, Bleu néon, met en vedette Tania Kontoyanni (magnifique, avec une performance toute en subtilité). Ce soir, Laurence a un rancard avec un homme qui lui plaît beaucoup. Mais elle hésite. Avant de sortir, elle nous raconte la soirée de son anniversaire, il y a trois ans, alors qu’elle attendait une amie en sirotant un cocktail dans un bar miteux. Et sa rencontre, fulgurante, avec un bel et sombre inconnu. Si la soirée a d’abord pris des airs de flirt sensuel, elle s’est terminée dans l’horreur. Laurence a été violée. Une expérience traumatisante et humiliante qui l’a brisée. Un conte bien d’actualité, alors que les initiatives pour dénoncer la culture du viol et expliquer le consentement sexuel se multiplient au Québec, mais aussi à l’étranger.

La comédienne Carmen Sylvestre, dans le conte « Un temps avant la nuit », de Pierre Chamberland. Photo : Thomas L. Archambault.

Un de nos coups de cœur de la soirée : la merveilleuse Carmen Sylvestre, dans Un temps avant la nuit, de Pierre Chamberland. Dans le rôle de Marguerite, une vieille dame « parkée » dans un CHSLD par un de ses fils, la comédienne est infiniment touchante. Assise dans un fauteuil roulant suspendu à de lourdes chaînes, la femme révèle des parcelles de sa vie : son mariage avec son beau Marcel, la naissance de ses deux enfants, ses vacances au bord de l’eau. Des souvenirs doux qui contrastent avec les conditions navrantes dans lesquelles elle survit. Une prise de conscience implacable sur la perte de la dignité des aînés, dans une société où règnent en maîtres la performance et la productivité.

La comédienne Andréanne Théberge, dans le conte « Lucie-aux-phobies », de Marie-Ève Charbonneau. Photo : Thomas L. Archambault.

Lucie travaille dans un bureau. Elle a peur des autres. Quand sa psychologue lui suggère de sortir de sa zone de confort, la jeune femme se dit que le party de bureau de la période des Fêtes est l’occasion idéale pour commencer à déployer ses ailes. La soirée ne se déroulera pas tout à fait comme prévu. Après un dur réveil dans les toilettes de l’entreprise, la mine déconfite et la tête dans le brouillard, Lucie reprendra le contrôle de sa vie. Dans Lucie-aux-phobies, de Marie-Ève Charbonneau, la charmante Andréanne Théberge incarne une fille parfaite dans son imperfection, et surtout hyper attachante. Entourée d’une cinquantaine de classeurs métalliques rouillés, éclairés de l’intérieur, Lucie raconte ses petits et grands malheurs, mais non sans une bonne dose d’humour.

Le comédien Maxim Gaudette dans le conte « Christine », de Jean B. Couvrette. Photo : Thomas L. Archambault.

Dans une petite pièce remplie de casiers, qui évoque un vestiaire sportif, arrive un jeune homme (Maxim Gaudette), qui s’excuse de son retard. C’est qu’il a rencontré Christine, son amour de jeunesse, celle qui faisait battre son cœur quand il avait six ans. Puis, d’autres souvenirs déboulent. Les moments passés avec ses camarades de hockey à l’aréna. Ou dans la voiture, avec l’entraîneur. Tout jeune, il sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond dans la vie de son ami. Les années ont passé, et il a compris. En dévoilant des secrets enfouis depuis trop longtemps, le personnage de Christine, de Jean B. Couvrette, se confie sur sa culpabilité, ses regrets de n’avoir pas fait davantage pour sauver son coéquipier des griffes de son agresseur. Un texte qui sert à merveille Maxim Gaudette, un acteur intense qu’on ne se lasse pas de voir au petit écran, au cinéma ou sur les planches.

La comédienne Véronique Pascal dans le conte « Mémoires », de Marie-Pascale Picard. Photo : Thomas L. Archambault.

Mémoires, de Marie-Pascale Picard, est un cri du cœur pour que la société accorde la dignité et le respect auxquels ont droit les membres des Premières Nations, dont plusieurs subissent, encore aujourd’hui, les conséquences des horreurs vécues dans les pensionnats autochtones. Une jeune métisse raconte la disparition de sa mère et les tentatives de sa grand-mère pour la retrouver dans les rues de la métropole. La comédienne Véronique Pascal livre son texte, cru et nécessaire, appuyée à La Fleur de macadam, une sculpture imposante, taillée dans l’acier et la pierre. Une création qui fait écho à la force de ces femmes, à leur résilience à toute épreuve.

La comédienne Ève Pressault dans le conte « Un pick-up pour quekpart », de Maryse Latendresse. Photo : Thomas L. Archambault.

Pour clore le spectacle, un conte plus léger, bien qu’il aborde la question du deuil d’un parent. Un pick-up pour quekpart, de Maryse Latendresse, c’est l’histoire d’un adolescent et de ses deux petites sœurs, qui, un soir, empruntent en secret le camion de leur beau-père pour se rendre à Montréal. Un road trip nocturne pour voir les feux d’artifice, sorte de signe que leur père disparu est toujours là, avec eux. Un joli texte interprété par la comédienne Ève Pressault.

Vous n’avez pu assister à l’une des représentations des Laissés pour contes cette année? Vous pouvez toujours faire la lecture des sept histoires en vous procurant le recueil sur le site de Coïncidences Productions.

www.coincidencesproductions.com/leslaissespourcontes.com

 

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CRITIQUE DE LA PIÈCE ANTIGONE AU PRINTEMPS, DE NATHALIE BOISVERT, MISE EN SCÈNE PAR FRÉDÉRIC SASSEVILLE-PAINCHAUD

Texte : Karine Tessier

D’abord, la voix cristalline de Mykalle Bielinski. Une envolée vocale bouleversante qui annonce déjà la tragédie qui nous sera racontée. Puis, s’amènent nonchalamment trois frères et sœur de 20 ans, Étéocle (Xavier Huard), Polynice (Frédéric Millaire-Zouvi) et Antigone (Léane Labrèche-Dor), qui se remémorent leur enfance au chalet, au bord de la rivière Éternité. Des souvenirs caressants qui font vite place à une mémoire amère, alors que les jeunes sont devenus la cible de moqueries, fruits de l’inceste entre leurs parents Jocaste et Œdipe.

Devenus adultes, dans un Montréal fictif où tonne la révolte populaire, Étéocle, Polynice et Antigone doivent prendre parti. Le premier joint les rangs des forces de l’ordre, menées par le corrompu Créon, qui réprime toute protestation au nom de la prétendue paix sociale. Les deux autres sont avec le peuple. Lors d’une émeute, les frères se battent, et Polynice meurt. Sa dépouille devient une pièce à conviction pour les autorités, qui souhaitent incriminer les protestataires.

Photo : Francis Sercia.

Présentée du 4 au 22 avril 2017 à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, Antigone au printemps est une production de la jeune compagnie Le Dôme – créations théâtrales, fondée il y a deux ans. En se regroupant, Nathalie Boisvert, Frédéric Sasseville-Painchaud et Olivier Sylvestre se sont donné comme mission de réenchanter le monde, de proposer une parole qui incite l’humain à reprendre son destin, individuel et collectif, en main. Là où s’arrête la raison, l’espoir, l’émotion et le rêve animent l’homme.

Lorsqu’elle écrit, Nathalie Boisvert s’inspire beaucoup de ce qui défraie les manchettes : les manifestations du printemps 2012 au Québec, les centaines d’oiseaux retrouvés morts, notamment aux États-Unis et en Italie, la même année. Pour ce nouveau spectacle, elle a choisi d’ancrer dans l’actualité les personnages de la pièce de Sophocle. L’héroïne, née à l’Antiquité, est intemporelle. Alors que les hommes combattent, elle se tient debout, seule, le poids du monde sur ses épaules. Il est souvent plus aisé d’éviter le débat et de rester dans le rang. Antigone, elle, affirme que, parfois, il faut savoir dire non, enfreindre la loi pour servir la justice. L’histoire de toutes les révolutions. L’œuvre, d’abord un récit sur le rapport au pouvoir, aborde également des thèmes universels : la liberté, les droits humains, la corruption, la famille, la solitude. Ce qui en fait bien plus qu’un spectacle politique.

Photo : Francis Sercia.

Pour mettre en scène ce texte lucide, les deux complices de Nathalie Boisvert au Dôme – créations théâtrales, Frédéric Sasseville-Painchaud, assisté d’Olivier Sylvestre. Ceux-ci ont placé les acteurs dans un décor tout de roche et de bitume. Percutants, Huard, Millaire-Zouvi et Labrèche-Dor déclament leurs lignes comme on le ferait avec un manifeste. Une abondance de mots livrés par moments telle une pétarade, ce qui fait écho au tumulte qui se produit dans ce Montréal fictif. Une poésie théâtralisée au rythme haletant, qui laisse à peine au spectateur le temps de reprendre son souffle.

Photo : Francis Sercia.

 

La scénographie, signée Xavier Mary, se veut toute horizontale, linéaire. Comme une ligne du temps qui lie les événements du passé, du présent et de l’avenir. Puisque, oui, le combat n’est pas sans appel. Les créateurs d’Antigone au printemps suggèrent l’espoir, alors que filtre à maintes reprises la lumière sur cette scène plongée dans la pénombre. De très beaux éclairages réalisés par Chantal Labonté.

Photo : Francis Sercia.

Dans cet ensemble sombre, la distribution apparaît telle une armée de soldats de plomb, qui, même en évoquant des souvenirs douloureux de leur enfance, ne laissent jamais leur armure se fissurer. Leur prise de parole n’en est que plus intense, enflammée. Les trois comédiens butent à quelques reprises sur les mots, mais on leur pardonne aussitôt, le texte de Nathalie Boisvert représentant de toute évidence un défi impressionnant. En toutes circonstances, le trio tente de sauver sa peau, tout comme Étéocle, Polynice et Antigone font tout en leur pouvoir pour rester intègres, peu importe le camp choisi. Un courage qui nourrit notre propre réflexion et qui, le souhaite assurément l’équipe de la pièce, nous incite à passer à l’action.

Photo : Francis Sercia.

Antigone au printemps, de Nathalie Boisvert, mise en scène par Frédéric Sasseville-Painchaud, est à l’affiche du 4 au 22 avril 2017 à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

Pour toutes les informations : www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/60

Le texte du spectacle est également disponible dans les librairies depuis le 12 avril 2017.

CRITIQUE DE LA PIÈCE EXTRAMOYEN, SPLENDEUR ET MISÈRE DE LA CLASSE MOYENNE, DE PIERRE LEFEBVRE ET ALEXIS MARTIN, MISE EN SCÈNE PAR DANIEL BRIÈRE

Texte : Julie Baronian

Qu’est-ce que la classe moyenne? Est-elle une simple question de salaire ou de valeurs? Existe-t-elle vraiment ou a-t-elle seulement déjà existé? Et la consommation, serait-elle son unique raison d’être?

Malgré qu’il soit omniprésent dans le discours politique ambiant et sur toutes les tribunes, le concept de la classe moyenne demeure flou. Extramoyen, splendeur et misère de la classe moyenne, une pièce qui se situe entre le théâtre documentaire et l’essai, tente de nous éclairer ou, du moins, de susciter notre réflexion à travers une douzaine de sketchs parsemés d’humour et de folie, tout en étant instructifs.

Photo : Marlène Gélineau-Payette.

Le spectacle s’ouvre sur une scène familiale des années 1950, d’une famille typique dite de la classe moyenne. Tout au long de la pièce, les spectateurs suivront son évolution à travers les décennies. Ou plutôt sa non-évolution… Plusieurs décrochages des personnages – « en quelle année sommes-nous? » – nous montrent plutôt leur stagnation à travers la consommation, la surconsommation, le crédit, la dette, la précarité… Par exemple, de l’endettement pour l’achat d’un premier téléviseur, nous passons à la leçon d’une mère à sa fille voulant devenir vendeuse, à un couple endetté qui doit choisir entre son désir d’accéder à la propriété et celui d’offrir une éducation de qualité, mais onéreuse, à ses enfants dans une école privée.

Photo : Marlène Gélineau-Payette.

Ces courtes saynètes, qui constituent la trame de fond, sont entrecoupées de vox pop de citoyens dans la rue, d’une courte comédie musicale à la façon Broadway, de citations et d’extraits d’entrevues de sociologues, de philosophes ou d’écrivains, d’un quiz télévisé hilarant – version québécoise de The Price Is Right -, d’un impressionnant théâtre d’objets, filmé simultanément sur grand écran, qui raconte, avec des jouets, l’histoire de la fabrication d’une lampe, à partir de l’extraction du minerai jusqu’à la livraison au consommateur, et même d’un sketch plutôt troublant ciblant les politiciens dans un État désengagé qui veut faire payer davantage la classe moyenne pour des services publics d’éducation aux enfants et de soins aux aînés.

Photo : Marlène Gélineau-Payette.

Cette pièce de théâtre éclectique donc, pleine de surprises, mais toujours autour du même thème de la classe moyenne, met forcément en valeur la solide distribution, crédible et versatile, qui doit incarner de multiples et variés personnages : Marie-Thérèse Fortin, Jacques L’Heureux, Christophe Payeur, Mounia Zahzam et Alexis Martin, avec la participation filmée de Pierre Lebeau.

Photo : Marlène Gélineau-Payette.

Avec cette nouvelle création, dans une mise en scène brillante et inventive de Daniel Brière, écrite par Alexis Martin – codirecteur du Nouveau Théâtre Expérimental – et Pierre Lefebvre – rédacteur en chef de la revue Liberté – le NTE s’est donné l’occasion de renouer avec le précieux collaborateur qu’est ce dernier, à qui l’on doit les textes des pièces Loups en 2005 et Lortie en 2008. La forme et la structure de la pièce Extramoyen sont d’ailleurs inspirées de sa manière de faire des documentaires radiophoniques, qu’il a réalisés pour Radio-Canada, enchevêtrant habilement le ludisme et le didactique, le jeu et l’érudition.

Photo : Marlène Gélineau-Payette.

Le spectacle fort divertissant, sans être trop léger, réussit à poser les bonnes questions. Manifestement, dans une société et à une époque où l’économie fonctionne par la consommation et grâce au crédit, où l’être humain « de la classe moyenne » est souvent réduit à son simple rôle social de consommateur – non seulement par les entreprises, mais aussi par le gouvernement -, cette pièce de théâtre suscite une bonne réflexion. Une critique sociale qui s’impose comme une nécessité dans ce monde d’endettement et de surconsommation.

La pièce Extramoyen, splendeur et misère de la classe moyenne, une production du Nouveau Théâtre Expérimental, de Pierre Lefebvre et Alexis Martin, mise en scène par Daniel Brière, est présentée du 4 au 29 avril 2017 au théâtre Espace Libre de Montréal.

Pour toutes les informations : www.espacelibre.qc.ca/spectacle/saison-2016-2017/extramoyen

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