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CRITIQUE DE LA PIÈCE FAIRE LA LEÇON, DE RÉBECCA DÉRASPE, MISE EN SCÈNE PAR ANNIE RANGER

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Illustration : Diana Aziz.

Texte : Julie Baronian

Un gymnase converti en salle des profs, une photocopieuse, quelques bancs… et quatre enseignants – Camille, Mireille, Étienne et Simon – dans une école où aucun élève n’a levé la main depuis trois ans.

De la rentrée des classes jusqu’au party des Fêtes, les protagonistes, dont les rôles sont tenus par Solo Fugère, Xavier Malo, Marilyn Perreault et Klervi Thienpont, se rencontrent dans cette salle, comme dans un espace de décompression, seul lieu où ils peuvent dévoiler leur vulnérabilité et s’exprimer sans filtre.

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Photo : Eugene Holtz.

La distribution nous offre une très bonne performance, malgré un jeu parfois inégal. L’interprétation très appuyée accentue le côté absurde de la pièce. Mais ce qui attire l’attention dès le début, ce sont les mouvements saccadés, chorégraphiés des personnages, l’exécution très physique. Le propos du spectacle est porté autant par le texte, très rythmé, que par la gestuelle singulière des enseignants. On reconnaît là la signature de la metteuse en scène Annie Ranger, cofondatrice du Théâtre I.N.K, une compagnie qui explore avant tout les mouvements dans le jeu théâtral. Cette particularité ajoute assurément une dimension importante à Faire la leçon, tantôt dramatique, tantôt comique.

Le système d’éducation actuel est remis en question avec beaucoup d’humour et de poésie dans cette œuvre de Rébecca Déraspe, en abordant les angoisses, les difficultés et les drames que vivent les professeurs, de leur propre vision des choses. Racisme, homosexualité, devoir de réserve, dépression, anxiété sont autant de sujets explorés qui nourrissent la réflexion du spectateur. Des situations absurdes auxquelles les enseignants sont souvent confrontés de nos jours sont aussi illustrées : travaux de construction pendant les cours, manque de locaux, absence de climatisation, et autres.

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Photo : Eugene Holtz.

Dans l’ensemble de son œuvre, la dramaturge québécoise examine les multiples facettes des inégalités sociales et de la détresse humaine. Faire la leçon ne fait pas exception. Rébecca Déraspe est également très attachée au monde des enfants, pour lesquels elle a signé plusieurs pièces, notamment Je suis William, qui a remporté le prix de la critique « meilleur spectacle jeune public » en 2018.

Bien que Faire la leçon nous fasse souvent sourire par l’absurdité et le sarcasme qu’il nous présente, il pose quand même un questionnement actuel et nécessaire sur le système d’éducation. Les adolescents et les jeunes enseignants se sentiront sûrement les plus touchés et concernés par le propos.

 

Fait intéressant, à l’invitation de la metteuse en scène Annie Ranger, des personnalités de divers milieux – parmi lesquels, des employés de commission scolaire, des professeurs, des activistes – prennent la parole sur le thème des enjeux de l’éducation pour une durée de trois minutes avant chacune des représentations.

La pièce Faire la leçon de Rébecca Déraspe, une production du Théâtre I.N.K., mise en scène par Annie Ranger, est présentée du 12 au 29 novembre 2019, au Théâtre Aux Écuries.

Pour toutes les informations : auxecuries.com/projet/faire-la-lecon

 

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE DE LA PIÈCE LA VAGUE PARFAITE, DE GUILLAUME TREMBLAY ET OLIVIER MORIN, MISE EN SCÈNE PAR GUILLAUME TREMBLAY

Texte : Karine Tessier

En 2016, à l’affiche au Théâtre Espace Libre, puis au Théâtre Aux Écuries, La Vague parfaite avait cartonné. Présentée à guichet fermé dans les deux salles, la pièce avait ravi à la fois le public et les critiques. Le Théâtre du Futur complète cet été son tour du chapeau en présentant son opéra surf au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dans le cadre des festivités entourant le 375e anniversaire de Montréal.

Photo : Toma Iczkovits.

Quelque part entre demain et dans 100 ans, sur l’île de Tahiti, une dizaine de jeunes athlétiques et bronzés coulent des jours heureux. Une existence de rêve faite de jus verts, de yoga, de surf et de polyamour. Mais leur vie n’est pas sans défi! En effet, les membres des deux clans, les Cools et les Wannabes, multiplient les efforts pour atteindre le sommet de la hiérarchie du groupe.

Les changements climatiques ayant déréglé la planète, on annonce l’arrivée prochaine d’un tsunami, que nos joyeux surfeurs considèrent comme la vague parfaite, sorte de Saint Graal pour les amateurs de planche. Ils y voient l’occasion idéale pour réaliser l’exploit d’une vie et, ainsi, atteindre le plus haut niveau de coolness.

Photo : Toma Iczkovits.

Lorsque le raz-de-marée déferle sur leur paradisiaque île du Pacifique, certains perdent la vie, alors que les autres trouvent refuge sur un radeau construit avec des planches de surf. Est-ce la fin de l’espoir pour ces demi-dieux, comme « un sandwich au beurre de peanuts de quelqu’un allergique au beurre de peanuts »? Ou trouveront-ils asile dans un autre pays ou même sur Tahi Slande 3D, une bulle en verre?

En 2012, le Théâtre du Futur nous avait offert sa première production, un opéra rock désopilant sur le controversé expert en marketing Clotaire Rapaille. Dès le départ, Guillaume Tremblay, Olivier Morin et l’auteur-compositeur-interprète Navet Confit ont choisi de créer des œuvres critiquant de façon acerbe la société dans laquelle nous vivons, le tout enrobé d’un humour aussi absurde que délicieux.

Photo : Toma Iczkovits.

La Vague parfaite ne fait pas exception. Dans ce délire irrévérencieux, on se moque allègrement de ces douchebags trop occupés à se regarder le nombril pour se préoccuper des autres habitants de leur île ou des conséquences des changements climatiques. On se paie la gueule de ceux qui misent tout sur l’apparence et la branchitude. Et on observe avec sarcasme une société qui voue un culte à la performance, tout en faisant l’apologie du mieux-être et de la relaxation. Une fable d’anticipation, certes, mais dans laquelle on se reconnaît tous au moins un petit peu.

Photo : Toma Iczkovits.

Derrière ce bordel hautement jouissif, se cache une démarche artistique aussi riche que rigoureuse. Les rôles principaux sont incarnés par des interprètes lyriques à la technique impeccable, qui chantent, en plusieurs langues, avec une intensité dramatique des textes déjantés, ponctués de « dudes » et de propositions grivoises. Le tout sur des mélodies complexes, magnifiques, jouées sur scène par le talentueux Philippe Prud’homme.

Photo : Toma Iczkovits.

À l’instar des opéras plus traditionnels, des surtitres sont projetés sur un écran, afin de traduire les chansons. Un procédé qui, entre les mains de ces comiques créateurs, ne sera qu’un moyen de plus de faire rigoler le public. Et ce n’est qu’une des références aux productions lyriques que l’on retrouve dans La Vague parfaite. Les auteurs du spectacle, se donnant comme mission de décloisonner l’opéra, s’en sont donné à cœur joie, comparant le sommeil des personnages sur le radeau « au deuxième acte à l’Opéra de Montréal » et projetant sur une planche de surf le visage de Marc Hervieux, qui surmonte un corps aux abdominaux d’acier.

Photo : Toma Iczkovits.

La dernière production du Théâtre du Futur propose au public montréalais le mélange idéal pour la saison d’été : un humour osé, des airs irrésistibles, des artistes de talent, ainsi qu’une réflexion pertinente sur les travers du monde dans lequel on vit. Si vous n’avez pas assisté à l’une des représentations de cette pièce en 2016, c’est votre chance. Allez, laissez-vous emporter par la vague!

La Vague parfaite, de Guillaume Tremblay et Olivier Morin, mise en scène par Guillaume Tremblay, est présentée les 20 et 21 juin, puis les 6, 7, 9 et 10 juillet, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal.

Pour toutes les informations : www.theatredaujourdhui.qc.ca/vagueparfaite

 

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ENTREVUE AVEC LA PERFORMEUSE CLAUDINE ROBILLARD

Texte : Karine Tessier

« Confiez-nous un projet inachevé qui vous hante. Nous vous en délivrerons. » Cette phrase, pleine de promesses, on peut la lire dans les documents promotionnels du spectacle Non Finito, qui sera présenté du 18 au 29 avril prochains, au Théâtre Aux Écuries de Montréal.

On a tous des travaux ou des rêves restés en chantier. L’artiste Claudine Robillard ne fait pas exception. Désireuse de partager son expérience personnelle avec les gens, elle a transformé sa quête en enquête. Après quelques années de laboratoire, elle montera sur les planches pour nous livrer le bilan de ses recherches. Une réflexion qui allie théâtre, performance et sociologie, dont elle assure la codirection avec sa complice Anne-Marie Guilmaine.

Nous avons rencontré Claudine Robillard quelques jours avant la première de Non Finito, un essai sur l’inachèvement, quelque part entre l’art et la vie.

On sait bien peu de choses sur Non Finito. En effet, sur les affiches et dans les textes qui font la promotion de la pièce, des dizaines de questions sont posées et restent sans réponse. C’est plutôt inhabituel, comme stratégie publicitaire!

Je vous avoue qu’on a eu beaucoup de discussions avec l’équipe des communications à ce sujet. On nous disait : « Si vous voulez des gens dans la salle, on doit leur dire quelque chose! » Moi et Anne-Marie, on tenait à l’économie de détails. On pense que l’expérience du spectacle va de pair avec la découverte.

Non Finito n’est pas un show spectaculaire. Les choses qui émergeront sur la scène auront une valeur et une beauté que si elles sont découvertes ici et maintenant.

Dans la pièce autant que dans les outils qui en font la promotion, plusieurs questions sont posées. Laquelle a été la genèse du projet?

Quoi faire des projets inachevés qui nous hantent, mais qu’on ne peut réaliser? J’ai vécu un questionnement très fort il y a quelques années, au point de faire naître une douleur. C’était insupportable.

Maintenant, est-ce que la scène peut nous aider à concrétiser ces projets, pour nous en libérer? Évidemment, nous ne sommes pas dupes au point de croire que le théâtre peut tout régler, guérir ceux qui se sentent tenaillés par ces projets inachevés! Mais un spectacle peut bel et bien avoir un impact dans le réel. Dans l’art et la poésie, il peut parfois y avoir un potentiel de guérison. Peut-être que, par le fantasme, le jeu de rôle, on peut se libérer des projets qui nous hantent.

La création de Non Finito s’est faite sur plusieurs années, notamment lors de plusieurs résidences.

Oui. On a eu la chance d’être trois semaines en résidence au Théâtre Aux Écuries, échelonnées sur un an. Aussi, on a fait d’autres courtes résidences dans les Maisons de la culture.

C’est la première fois qu’on créait comme ça. Après chaque résidence, on présentait un laboratoire. Ça a beaucoup nourri le processus. On a dû ouvrir les portes de la création pour présenter chaque fois quelque chose, discuter avec le public, puis nous réajuster.

L’œuvre a beaucoup bougé depuis le début! Aucun de nos laboratoires ne ressemble à la forme finale de Non Finito! Par contre, nous ne sommes pas reparties de zéro chaque fois. On reconnaît certains éléments.

Vous avez fondé votre propre compagnie de création interdisciplinaire, Système Kangourou, en 2006 avec Anne-Marie Guilmaine et Jonathan Nadeau. Pourquoi avoir préféré cette démarche, plutôt que de joindre les rangs d’un groupe déjà établi?

Si on se reporte en 2006, on sortait de l’Université du Québec à Montréal, où nous avons fait notre baccalauréat et notre maîtrise. Anne-Marie et moi, on avait chacune notre démarche. Mais on se rejoignait dans une forme très ancrée dans le réel, dans l’action, une forme non linéaire. À l’époque, le terme « théâtre performatif » n’était pas très utilisé. On ne se reconnaissait pas dans d’autres démarches québécoises. Pour nous, ça allait de soi de fonder Système Kangourou.

Comment votre dernière création, Non Finito, est-elle ancrée dans le réel?

Le spectacle parle de mes projets inachevés, mais n’est pas pour autant narcissique. On a envie de poser des questions aux spectateurs pour qu’eux aussi se sentent concernés, pour que l’intime côtoie le collectif.

Nous sommes à l’ère du spectaculaire. Et, parfois, je trouve que ça va à l’encontre des questions de fond. On a envie de ramener ces interrogations, d’aborder une œuvre autrement qu’en mettant l’accent sur les vedettes qui se retrouvent sur scène.

La réalité a un potentiel poétique tellement fort! Nul besoin de se tourner vers la fiction. Il suffit d’entraîner notre œil à la poésie qui nous entoure. Bien sûr, un travail artistique est nécessaire pour la mise en forme, pour qu’un sens émerge. Mais le matériel de base est réel.

Photo : Anne-Marie Guilmaine.

À quelle réaction vous vous attendez de la part du public?

C’est drôle, c’est la première fois que je me pose la question sous cette forme. C’est sûr que le public repartira en se questionnant : est-ce que j’ai des projets inachevés? Est-ce que ça me hante? Qu’est-ce qui me retient de les finir ou pas?

Au-delà de ça, j’espère que les gens auront vécu un moment de rencontre, de partage, auront le sentiment d’avoir participé à une interaction vraie. Peut-être ressortir également avec l’envie de se parler, de partager ses trucs avec les autres. Enfin, j’espère!

Le spectacle Non Finito, de Claudine Robillard et Anne-Marie Guilmaine, sera présenté du 18 au 29 avril 2017, au Théâtre Aux Écuries de Montréal. Une rencontre-débat sur le thème La Course à la performance suivra la représentation du 27 avril prochain.

Pour toutes les informations : auxecuries.com/projet/non-finito-2016

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CRITIQUE DU SPECTACLE #PIGEONSAFFAMÉS, ÉCRIT ET MIS EN SCÈNE PAR ANNE-MARIE WHITE

Texte : Karine Tessier

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

Comment détermine-t-on qu’une personne fait « sa juste part » pour contribuer au bon fonctionnement de notre société? Parce qu’elle donne de son temps ou de son argent pour une bonne cause? Parce qu’elle signe des pétitions pour appuyer un projet ou dénoncer une situation? Parce qu’elle fait ses emplettes avec des sacs en coton, consomme bio et équitable, roule en bicyclette?

Et si notre motivation à poser ces gestes était moins une poussée altruiste qu’un moyen d’étouffer notre sentiment de culpabilité face aux nombreuses inégalités qui séparent les habitants de notre planète?

Grâce à la surabondance d’informations disponibles, à l’omniprésence des réseaux sociaux, à la multiplication des experts en tous genres, il est aisé de dénicher quelque preuve que ce soit pour légitimer nos habitudes et choix de vie, et ainsi se rassurer.

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

L’auteure et metteure en scène Anne-Marie White a eu envie d’explorer ce phénomène, qu’elle a nommé la Dolce Vita, dans son troisième spectacle #PigeonsAffamés, produit par Le Théâtre du Trillium. D’abord créée à Ottawa en 2015, l’œuvre est présentée du 23 au 25 novembre au Théâtre Aux Écuries à Montréal, dans le cadre d’une tournée canadienne qui se poursuivra en 2017.

Le travail d’écriture de la pièce s’est amorcé avec les gestes. Épaulée par la chorégraphe Mylène Roy, Anne-Marie White a exploré le mouvement, auquel se sont par la suite greffés des textes. Un processus qui aura duré deux ans.

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

Pour interpréter le spectacle, une demi-douzaine d’acteurs triés sur le volet. Des artistes qui se sont totalement abandonnés au projet, s’entraînant pendant trois ans pour être le plus à l’aise possible, et le plus juste, sur les planches. Leur dur labeur n’aura pas été vain. Les hommes et les femmes de #PigeonsAffamés font rire autant qu’ils émeuvent, enchaînent déplacements saccadés et déhanchements lascifs, prêtent leur voix puissante au rap ou à des harmonies vocales rythmn and blues.

Les protagonistes de cette œuvre multidisciplinaire réfléchissent à leur rapport au bonheur, au sexe, à la productivité. Ils dénoncent avec sarcasme le sensationnalisme des nouvelles télévisées et s’amusent des commentaires souvent insipides publiés par les internautes sur les forums. Un message ponctué de références à la culture populaire, de l’hymne écolo de Marvin Gaye Mercy, Mercy Me à la ballade nostalgique I Can’t Stop Loving You de Ray Charles, en passant par la ritournelle publicitaire bien connue de McDonald’s I’m Loving It!

La prise de parole, dans #PigeonsAffamés, aurait pu être lourde et moralisatrice. Mais il n’en est rien. Anne-Marie White a tenu à faire de sa réflexion sur la perte de repères dans notre société actuelle une comédie musicale festive et nuancée, où les personnages sont ni totalement bons ni tout à fait méchants. À mille lieues de l’autoflagellation ou du cynisme, les constats que propose son spectacle nous bousculent, entre deux éclats de rire et une furieuse envie de danser. Une symphonie polyphonique réjouissante, on ne peut plus pertinente, alors que débute le temps des Fêtes.

Pour lire notre entrevue avec l’auteure et metteure en scène Anne-Marie White, c’est ici.

Le spectacle #PigeonsAffamés est présenté du 23 au 25 novembre 2016 au Théâtre Aux Écuries, à Montréal. Pour toutes les infos : auxecuries.com/projet/pigeonsaffames

Par la suite, il sera à l’affiche dans plusieurs autres villes canadiennes. Pour connaître les dates de la tournée : www.theatre-trillium.com/saison/paroles/pigeonsaffames1

ENTREVUE AVEC L’AUTEURE ET METTEURE EN SCÈNE ANNE-MARIE WHITE

Texte : Karine Tessier

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Quelque part entre la nostalgie d’une époque où tous les rêves étaient permis et la perte de repères actuelle, les #PigeonsAffamés virevoltent devant nos yeux. Spoken word, musique expérimentale, chant a capella, beatbox, mouvements de danse : tous les moyens sont bons pour nous livrer leurs réflexions, nous inciter à l’action. Une prise de parole qui bouscule, mais aussi qui fait éclater de rire et donne envie de danser. #PigeonsAffamés est le troisième spectacle écrit et mis en scène par Anne-Marie White, produit par Le Théâtre du Trillium. L’œuvre effervescente est présentée du 23 au 25 novembre au Théâtre Aux Écuries à Montréal, dans le cadre d’une tournée canadienne qui se poursuivra en 2017. Rencontre avec la créatrice aux multiples chapeaux.

Comment est né le spectacle #PigeonsAffamés?

Il y a quatre ou cinq ans, je regardais une émission de télé matinale. L’invitée était une femme qui parlait de tout l’effet que peut avoir sur le cerveau le geste de donner. Puis, en conclusion, on faisait la promotion de La Grande guignolée des médias. J’ai réalisé que notre cerveau est en quelque sorte formaté à recevoir n’importe quoi. À l’approche de Noël, donner aux gens défavorisés nous fait du bien, nous permet de taire notre culpabilité. Il y a de plus en plus de plates-formes qui nous donnent cette possibilité, d’experts qui nous confortent dans cette idée. Il y a une perte de repères… Non, je dirais plutôt une surabondance de repères. Peu importe nos choix et habitudes de vie, il nous est possible de tracer une logique qui légitime nos actions.

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

#PigeonsAffamés parle de ce confort sur lequel on surfe. C’est comme un cri intérieur, qui nous révèle que ce n’est pas vrai que nous sommes si bien que ça! Mais on arrive à taire cette petite voix, à la zapper assez aisément, pour se lover dans ce que j’appelle dans le spectacle la Dolce Vita. C’est ce que j’ai voulu creuser dans ma dernière création, mais, cela dit, sans aucune intention de lancer la pierre. C’est fait avec beaucoup d’humour. Et, moi-même, je ne suis pas épargnée. Il y a une scène où une cliente de la chaîne de fast-food Valentine se sent jugée par une femme qui offre des croquettes bio à l’extrait de thé vert à son chien. Cette dernière, c’est moi! (rire)

Est-on vraiment prêts à laisser aller un peu de notre confort pour aider les plus démunis? Si quelqu’un nous offrait une solution pour instaurer l’égalité sur terre, embarquerait-on? Ce sont des questions qui me font mal quand je me les pose.

Cette réflexion pourrait également s’appliquer à la mobilisation sur les réseaux sociaux. Par exemple, l’utilisation de #JeSuisCharlie, à la suite de l’attentat à Charlie Hebdo, à Paris. Est-ce que, concrètement, on parvient à changer les choses?

Je ne fais pas partie des gens qui affirment que ça ne va rien améliorer. Mais je crois qu’on pourrait être un peu plus humbles ou nuancés. On n’est ni bons ni méchants. Ce serait trop facile de se camper dans une position, dire qu’on est tous manipulés. Moi, ce qui m’intéressait particulièrement, dans la création de #PigeonsAffamés, c’est notre façon d’apaiser notre conscience, pour se sentir bien ensuite : pétitions, consultation de psychologues, dons de toutes sortes… C’est un aspect que je trouve très drôle chez l’humain! En même temps, cette fiction est nécessaire! Si on enlève toute superficialité, on ne peut plus vivre dans la société. On se détache et on ne contribue plus à rien. On a un moment à passer sur la terre. Je crois qu’on devrait le vivre le mieux possible, sans faire de mal aux autres.

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

Pour vous, l’engagement est inévitable lorsque vous créez une œuvre?

Oui. Mais je pense que… J’ai l’impression que, même dans le théâtre intime, où il n’y a pas clairement de questionnement politique ou social, il y a une forme d’engagement quand on nous présente un point de vue particulier, quand l’auteur porte un regard unique sur la vie. Ce qui m’attire, au théâtre, c’est le regard du créateur. La chose regardée n’a pas à être extraordinaire! Mais, si le regard vient d’une vie qui n’est pas la mienne, ça me désarçonne. C’est le partage d’une vision.

Votre parcours professionnel est jalonné de projets multidisciplinaires.

Oui. Avant, je faisais de la mise en scène. Depuis que j’écris, je plonge dans ce qui est le plus près de moi, la fille de frontières. Théâtre, danse, musique… Je n’aime pas catégoriser. Dans #PigeonsAffamés, les interprètes ne sont pas des danseurs, mais bien des acteurs qui bougent. Mylène Roy, avec qui j’ai collaboré pour la chorégraphie, est allée chercher quelque chose de vrai, d’esthétique, de poétique. Le théâtre que je crée s’exprime par différents médiums. Mais, dans mes pièces, on sent bien la fille de théâtre, de structure, ce qui fait écho à mon parcours de dramaturge.

Photo : Marianne Duval.

Photo : Marianne Duval.

#PigeonsAffamés a été présenté à plusieurs reprises depuis la première, en septembre 2015, à Ottawa. Quelle a été la réaction des spectateurs à leur sortie de la salle?

La réaction est forte, enthousiaste! Ce que j’ai entendu le plus, c’est des remerciements. Les gens sont presque bouche bée. J’ai comme l’impression que le spectacle touche une corde qui donne envie de se garrocher, de mordre dans la vie, sans perdre trop notre temps. L’œuvre fait du bien, dans le sens où elle nous botte le cul! Les spectateurs me confient leur envie de plonger, d’être, d’exister, de s’exprimer… pas tant de s’exprimer, mais de réaliser. Ils me parlent de leurs rêves, de leurs projets. Ils sont complètement allumés! Et, ça, c’est un énorme cadeau pour moi. J’en suis très touchée.

Pour lire notre critique de la pièce, c’est ici.

Le spectacle #PigeonsAffamés, écrit et mis en scène par Anne-Marie White, est présenté du 23 au 25 novembre 2016 au Théâtre Aux Écuries, à Montréal. Pour toutes les infos : auxecuries.com/projet/pigeonsaffames

Par la suite, il sera à l’affiche dans plusieurs autres villes canadiennes. Pour connaître les dates de la tournée : www.theatre-trillium.com/saison/paroles/pigeonsaffames1

ENTREVUE AVEC LA CRÉATRICE ET INTERPRÈTE DE LA PIÈCE REGARDS

Texte : Karine Tessier

Photo : Justine Macadoux.

Photo : Justine Macadoux.

Dans Regards, l’artiste multidisciplinaire Séverine Fontaine raconte la complexe évolution de l’enfant, de sa naissance à son entrée dans l’âge adulte, un processus marqué par les observations, les remises en question, puis les prises de décision. Comme elle l’a fait à maintes reprises avec ses précédents spectacles, la créatrice française y aborde des thèmes comme le regard de l’autre, la différence et la liberté. Rencontre avec une artiste qui milite pour le droit d’être soi.

Quelle a été la genèse de Regards?

Ç’a été un processus. J’ai beaucoup travaillé la question de l’humain dans mes précédents projets, souvent en faisant des entrevues. Pour Un Siècle de mémoires, en 2005, j’ai échangé pendant trois ans avec des personnes âgées en fin de vie. Par la suite, pour Filaments, en 2011, je me suis penchée sur ce qui relie l’humain à sa génération, à ses origines, etc., lui qui est confronté aux grandes questions existentielles. Cette fois, toujours pendant trois ans, j’ai interviewé des personnes âgées et des adolescents. Ces recherches ont été passionnantes, mais très prenantes!

Pendant ma résidence d’écriture à La Chartreuse, en France, j’ai réalisé que c’était le moment de partir de moi, de ma propre histoire. J’étais prête à le faire, avec le recul nécessaire, dans la joie et le partage. Ce n’était pas du tout une psychanalyse ou le règlement de problèmes non réglés! Et l’écriture s’est faite d’une manière assez évidente.

Votre plus récente pièce est donc en partie autobiographique. Est-ce intimidant de se révéler ainsi au public?

Pas du tout! Regards a été écrite avec différents plans de narration, ce qui permet de vivre les émotions du personnage avec une certaine distance. C’est inspiré de ma propre histoire, mais l’interprétation amène un décalage. Et l’écriture est telle que chacun peut s’y reconnaître. Les choses sont nommées de façon très subtile.

Quelle a été la réaction du public qui a vu Regards depuis sa création, en 2013?

Le spectacle a d’abord été joué à La Chartreuse, un petit espace. La réception a été directe, en raison de la proximité, de l’intimité. Ensuite, l’œuvre a été présentée une quarantaine de fois dans différents espaces.

Du début à la fin de l’œuvre, c’est une histoire que je raconte. Un lien très fort se crée avec les spectateurs puisqu’ils sont mes interlocuteurs. Ils ressortent de la salle avec des émotions qui les traversent, puisque nous sommes tous construits avec les regards des autres. Il s’agit d’un thème à portée universelle.

C’est la première fois que la pièce sera montée à l’extérieur de la France. Comment vous sentez-vous à la veille de votre tournée québécoise?

Je suis vraiment heureuse! C’est très excitant!

Ça fait trois ans que je fais des allers-retours entre la France et le Québec. Déjà, en 2014, le texte de Regards a été présenté au public québécois lors du Festival du Jamais Lu. Cet automne, ce sera la première fois que les gens pourront voir l’œuvre finalisée. Ces dernières années, j’ai fait de nombreuses rencontres ici. Alors, ça met une petite pression.

Photo : Alex Nollet.

Photo : Alex Nollet.

Regards est une création multidisciplinaire. Vos projets sont toujours réalisés avec plusieurs médiums?

Oui, depuis mon tout premier spectacle. J’écris, seule ou en collaboration, les textes, mais également les images, les sons, la musique, les regards des gens… De manière évidente, je visualise la mise en scène, je vois des choses qui, parfois, n’ont pas de texte. Des tableaux. L’ensemble est assez cinématographique. C’est la naissance d’un univers.

Outre les spectacles, je crée aussi des installations lumineuses, numériques. Et j’amène une théâtralité dans ces œuvres, de la poésie, une histoire à raconter.

Depuis quelques années, il est beaucoup question des standards de beauté, de la diversité dans les médias et sur Internet. Regards semble s’inscrire dans ce courant.

Quand le personnage entre dans la phase de l’adolescence, on traite du rapport au corps. La jeune femme se construit, et elle fait des choses malgré elle pour être aimée des autres et des hommes. C’est un sujet dont on parle peu, ça reste un tabou. Mais c’est extrêmement important! Nous sommes conditionnés malgré nous. On nous présente un modèle dans lequel on doit entrer.

Regards, c’est la parole d’une femme sur la différence, la question de la norme. D’abord, qu’est-ce que la norme? Il y a une absurdité dans le fait de concevoir le beau, le laid… Je ne veux pas dévoiler la forme du spectacle. Mais la fin est extrêmement positive, l’énergie qui s’en dégage est assez dynamique. Il existe une façon de se libérer de ces barrières qui nous empêchent de s’assumer comme on est.

Photo : Justine Macadoux.

Photo : Justine Macadoux.

Regards, de Séverine Fontaine, est présentée du 12 au 14 octobre au Théâtre Aux Écuries à Montréal. La représentation du 13 octobre sera suivie d’une rencontre-débat organisée en collaboration avec l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques et la revue Liberté, sur le thème « Au risque d’être soi ».

Puis, le spectacle sera à l’affiche le 18 octobre au Théâtre de la Rubrique à Saguenay et le 21 octobre au Théâtre du Bic à Le Bic.

Pour toutes les infos : auxecuries.com/projet/regards

Texte : Karine Tessier

Jamais_Lu_bannière

Embrasser large. Voilà le thème qu’a choisi le Festival du Jamais Lu pour son 15e anniversaire. Une déclaration d’amour à la langue, au théâtre, au public, à la vie. Une invitation à (re)penser le monde. Un engagement à continuer de débattre de sujets qui défraient les manchettes et enflamment les cœurs : le féminisme, la vie privée, la technologie, la performance, le capitalisme.

Depuis 15 ans, Jamais Lu donne une vitrine aux dramaturges émergents et contemporains, par l’entremise de la lecture de leurs textes. Au fil du temps, l’événement a fait des petits. D’abord, à Québec. Puis, à Paris. Pour cette nouvelle édition montréalaise, ce grand rendez-vous des amoureux du théâtre proposera une vingtaine de textes, lus par des acteurs ou par leurs auteurs. Aussi, des 5 à 7 et un bal littéraire. Un gros party de fête, du 28 avril au 6 mai 2015, au Théâtre Aux Écuries. Morceaux choisis d’une programmation enthousiaste.

Les auteurs participant au 15e Festival du Jamais Lu, le soir du lancement de la programmation. Photo : Festival du Jamais Lu.

Les auteurs participant au 15e Festival du Jamais Lu, le soir du lancement de la programmation. Photo : Festival du Jamais Lu.

En ouverture du festival, la soirée Vendre ou rénover, qui a emprunté son titre à une émission de Canal Vie. Ici, les participants ne brandiront pas marteau et perceuse, mais s’affronteront avec les mots. Mis en scène par Alexandre Fecteau, ce combat théâtral opposera huit auteurs, qui se demanderont s’il vaut mieux remonter les classiques ou faire table rase au profit de nouvelles créations. Un échange fascinant, autant qu’une réflexion sur le devoir de mémoire, la prise de parole et l’héritage culturel.

Sur la destination des espèces, de Jean-Philippe Baril-Guérard, transpose la vie du naturaliste Charles Darwin… en 2016. Professeur de biologie renommé, l’Anglais lance un bouquin sur ses recherches, ce qui provoque des débats fougueux sur les réseaux sociaux et au sein des communautés religieuses. Le tout à la sauce hip-hop. Unique.

Facebook, Twitter et autres Instagram et Snapchat font également partie du propos de Rien à cacher : No Way to Feel Safe, de François Édouard Bernier, Patrice Charbonneau Brunelle, Marilou Craft et Dominique Leclerc. Entre documentaire et fiction, cette lecture se veut un compte rendu des conférences d’Edward Snowden. A-t-on encore une vie privée en 2016?

Au Centre d’achats d’Emmanuelle Jimenez, un lieu autant poétique que toxique, une galerie de personnages feront face à leur destin entre deux présentoirs d’aubaines à ne pas rater. Quand la quête humaine transcende l’objet pour toucher l’universel.

Puis, il y a Elsie, qui vient de perdre sa mère, et Matt, à la recherche de traces de son passé. Dans Havre, de Mishka Lavigne, les souvenirs côtoient les regrets, et le vide est lourd à porter.

En début de soirée, les codirecteurs du Jamais Lu vous proposent de faire la connaissance de leurs auteurs coups de cœur, en entrevue et en prestation. Ils viennent de la France, de la Suisse, de la Belgique, des Comores ou de la République démocratique du Congo, et ils prendront un verre avec vous aux 5 à 7 Frenche la planète.

Que serait un 15e anniversaire sans célébration? On pratique ses meilleurs pas de danse pour le Bal littéraire AZERTY-QWERTY. Le concept de la soirée promet : quatre auteurs, deux Québécois et deux Français, ont le mandat d’écrire une histoire en 10 épisodes… en seulement 48 heures! Chaque segment se termine par le titre d’une chanson entraînante, sur laquelle le public est invité à se trémousser. Fun!

Site officiel du Festival du Jamais Lu : www.jamaislu.com

15e Festival du Jamais Lu – Dévoilement from Jamais Lu on Vimeo.