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Texte : Karine Tessier

La huitième édition du festival Longue vue sur le court débarque dans le Sud-Ouest de Montréal avec une nouvelle cargaison de courts métrages de fiction, documentaires et d’animation, du 23 au 27 novembre 2022. Au menu, plus de 70 œuvres, représentant 18 pays, dont 41 provenant du Québec et du Canada. L’occasion parfaite de découvrir des créations singulières de grande qualité, peut-être même avec les enfants, puisque quelques séances leur sont tout particulièrement dédiées. Fragments Urbains a visionné une partie du programme pour vous et vous parle de ses coups de cœur.

Piscine pro

Pour les amoureux de l’ironie et de l’humour absurde, Piscine pro est un must! On y retrouve le ton si particulier au scénariste et réalisateur Alec Pronovost, connu pour son travail sur les séries télé Le Killing, Complètement Lycée et Club Soly. Dans ce court, où brillent Louis Carrière et Alexis Martin, notamment, un bachelier en histoire, spécialisé en études sur les Vikings, s’ennuie à mourir dans un emploi de commis d’un magasin de piscines. Nul doute que ce petit film d’à peine huit minutes rappellera bien des souvenirs à ceux qui ont déjà occupé un boulot alimentaire, parachutés dans un domaine professionnel qui leur est totalement étranger.

III

Avec son premier court métrage, III, la scénariste et réalisatrice Salomé Villeneuve (la fille de Denis) attire l’attention, avec raison. Cette histoire de trois enfants qui entrent en conflit lors d’une sortie de pêche trouble, voire bouleverse. La jeune cinéaste souhaitait explorer, dans sa première œuvre, la faculté qu’ont les enfants d’aimer et de détester, parfois de façon soudaine. Dans ces jeux parfois cruels initiés par les petits, s’immisce par moments la violence, exprimée verbalement et physiquement. Un récit fascinant qui se déroule dans la beauté brute de la nature québécoise, mise en valeur par la superbe direction photo de Fred Gervais, qu’on connaît également pour son travail de photographe.

Suzanne & Chantal

Une création délicieuse que ce court métrage écrit et dirigé par la polyvalente Rachel Graton, dont on admire déjà les talents de comédienne et de dramaturge. Le film a d’ailleurs remporté le Prix du public de la compétition officielle au dernier Festival REGARD, à Saguenay. Dans cette fiction riche en surprises et en personnages truculents, Anne-Marie Cadieux et Béatrice Picard incarnent avec énergie deux complices tout sauf sages, qui partent en mission… dans un salon de coiffure! Une vue au rythme enlevant, qui célèbre l’amitié avec originalité. Dire qu’on aimerait retrouver ces femmes hautes en couleur dans un long métrage est un euphémisme!

La Théorie Lauzon

Cette nouvelle proposition signée Marie-Josée Saint-Pierre s’adresse autant aux fans invétérés du cinéaste Jean-Claude Lauzon qu’à ceux qui souhaitent le découvrir. Dans cet essai psychanalytique, on dresse le portrait de celui qu’on surnommait le « mouton noir » du septième art québécois, à l’aide d’archives, d’extraits de son œuvre et d’animation, sublimés par l’esthétique caractéristique de Saint-Pierre. La Théorie Lauzon se veut également une captivante et touchante réflexion sur l’identité et les relations père-fils. Le processus de création est définitivement l’un des thèmes de prédilection de la documentariste, elle qui nous a déjà proposé des courts sur le musicien de jazz Oscar Peterson, le cinéaste Claude Jutra, ainsi que l’animateur Norman McLaren. Un incontournable du festival.

La Guêpe

Dès les premières secondes de La Guêpe, on est happé par l’atmosphère anxiogène et la trame narrative énigmatique, accentuées par les mélodies d’une grande beauté signées Antoine Binette Mercier, avec l’incontournable Claude Lamothe au violoncelle. L’acteur et metteur en scène Marc Beaupré se révèle un réalisateur fort habile, avec ce premier effort, qui raconte le quotidien d’une propriétaire d’un motel plutôt crade, qui sera bouleversé par l’arrivée d’un inconnu. Dans le rôle titre, on retrouve avec bonheur Marie-France Marcotte, dont on a pu apprécier l’immense talent, cet automne, dans la série télé Avant le crash. Une performance magistrale, récompensée par un prix, à l’occasion du dernier Festival international du film Fantasia de Montréal. L’œuvre est également repartie avec le Prix du public – bronze, dans la catégorie du Meilleur court métrage québécois, lors de l’événement.

Little Berlin

Inspirée d’une histoire vraie, cette création de Kate McMullen raconte un pan de la vie dans un petit village allemand, pendant la Guerre froide. Et elle le fait d’une manière on ne peut plus inusitée… en racontant l’existence de Peter le taureau, marquée par la solitude, une fois que le rideau de fer le sépare de ses 36 concubines. En à peine un quart d’heure, l’œuvre réussit à nous faire rire aux éclats, autant qu’à nous émouvoir. Une proposition charmante, narrée de façon brillante par l’acteur Christoph Waltz.

Warsha

Un matin dans la vie de Mohammad, qui bosse dans la grue la plus grande et dangereuse de Beyrouth. Suspendu au sol, au-dessus des gratte-ciel, l’homme en profite pour assouvir ses désirs en laissant son esprit vagabonder. Dans ce court, la Montréalaise Dania Bdeir utilise la colorimétrie pour faire écho aux émotions de son personnage principal, d’abord étouffé par les conditions de travail difficiles et l’univers machiste des chantiers, puis libéré lorsqu’il se réfugie dans ses songes. La direction photo de Shadi Chaaban confère à l’œuvre une élégance indéniable. Dans le rôle de Mohammad, l’artiste multidisciplinaire Khansa offre une performance sensible, qui permet une réflexion nuancée sur la binarité, le genre et les limites de l’émancipation dans une société conservatrice. Tout ça au son de la musique de la légendaire Oum Khalthoum, considérée par plusieurs comme la plus grande chanteuse de l’histoire du monde arabe. Le film a remporté le prix du Meilleur court métrage international remis par le jury, cette année, au festival de Sundance. Un honneur amplement mérité.

Stranger Than Rotterdam With Sara Driver

Quelle histoire aussi surréaliste qu’hilarante que celle de Stranger Than Rotterdam With Sara Driver! Le court, signé Lewie et Noah Kloster, suit les péripéties de la productrice du deuxième film, culte, de Jim Jarmusch, Stranger Than Paradise, en 1982. On regarde pour la minutie de l’animation, le charisme de la protagoniste principale et parce qu’il s’agit assurément d’un des plus réjouissants behind the scene jamais proposés.

Partir un jour

Dans ce film mélancolique, mais empreint d’humour et de lumière, Amélie Bonnin nous raconte une histoire d’amour qui n’est jamais arrivée, ponctuée de chansons de 2Be3, Francis Cabret et Ménélik. Dans les rôles principaux, Bastien Bouillon et la chanteuse star Juliette Armanet sont terriblement charmants. On se régale tout autant du jeu de François Rollin, hilarant en père râleur. Une œuvre qui parlera à tous ceux qui, pour fuir l’ordinaire et réaliser leurs rêves, ont un jour quitté leur patelin pour la grande ville. Et qui ont réalisé tôt ou tard qu’aucun endroit n’est parfait et que la magie se trouve parfois là où on s’y attend le moins. Mention spéciale au générique, qui prend des airs de karaoké. Adorable.

Pour toutes les infos sur le festival Longue vue sur le court, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Photo : Richmond Lam.

Dans Les Glaces, on suit une femme qui accuse un ancien amoureux de jeunesse de l’avoir agressée sexuellement, il y a 25 ans, ainsi que les conséquences de cette dénonciation sur la famille de l’assaillant. Avec sa nouvelle pièce, la prolifique dramaturge Rébecca Déraspe explore les thèmes de l’imputabilité, du pardon et de la solidarité. Cette coproduction du Théâtre de La Manufacture et du Théâtre La Bordée est mise en scène par Maryse Lapierre, et met en vedette notamment Christian Michaud, Daniel Gadouas et Debbie Lynch-White. À quelques jours de la première représentation au Théâtre La Licorne, dans la métropole, Fragments Urbains s’est entretenu avec l’autrice pour en apprendre davantage sur le processus de création du spectacle et discuter de bienveillance et de responsabilité.

Quelle est la genèse du projet Les Glaces? Quelle a été votre principale source d’inspiration?

Dans tout le premier mouvement de dénonciation, il y a quatre ou cinq ans, j’avais envie de trouver ma façon de prendre part à ce débat-là. Et je suis extrêmement nulle pour débattre, dans la vie! Ma façon de réfléchir et de me poser des questions sur l’être humain, de comprendre quelque chose du monde, en général, c’est d’écrire du théâtre.

La vie a fait en sorte que j’ai mis un peu le projet sur pause. Puis, il y a un an, j’ai eu une résidence d’écriture à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, en association avec le Centre des auteurs dramatiques. J’avais alors accès à ce que je voulais comme archives. J’ai fait énormément de lecture de correspondances amoureuses, pour voir comment le désir s’exprimait à travers les époques. Et, à un moment donné, je suis tombée sur le discours d’ouverture de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, la première fédération féministe québécoise, de Marie Gérin-Lajoie. C’était en 1907. Dans son allocution, elle parle de solidarité féminine, de sororité, de l’importance de l’éducation dans toutes les questions d’ordre sexuel.

Ç’a été comme une révélation. À l’heure actuelle, certains affirment que le débat sur la violence sexuelle est un effet de mode. Non, ça fait des centaines d’années qu’on essaie d’en parler, que ce sujet-là tente d’exister! Si on en parlait déjà au début des années 1900 et qu’on n’a autant pas avancé, qu’est-ce que ça veut dire pour notre avenir?

Lorsque j’ai repris mon travail, ça a changé un peu l’axe dramaturgique de mon texte. C’est-à-dire que, il y a cinq ans, j’étais plus proche des deux garçons qui ont posé un geste de violence sexuelle. Et là, j’ai modifié ma perspective et je me suis davantage rapprochée des personnages féminins, pour créer un espace de solidarité féminine qui traverse la pièce. Et il y a énormément de moi aussi, dans ce spectacle-là. De toute façon, je pense que, chaque fois que quelqu’un écrit, c’est pour essayer de réparer quelque chose. Du moins, c’est mon cas.

Dans la pièce, on suit les protagonistes dans le présent, mais également il y a 25 ans. C’était essentiel pour vous, ce retour dans le passé?

Oui, tout à fait! On ne lisait pas les événements de la même façon, il y a 25 ans. Si ces hommes-là avaient posé ce geste de violence sexuelle il y a six mois, on n’aurait pas d’empathie pour eux. Mais, avec le recul et parce qu’eux-mêmes regardent l’adolescent qu’ils étaient… En tout cas, moi, ma porte d’humanité et de bienveillance est plus facile à ouvrir. Le rapport au temps est très important parce que, sinon, je n’aurais pas pu aborder ces personnages-là avec le respect que j’ai pour eux.

Ça me confronte beaucoup, comme être humain, de revisiter ce que j’ai vécu, ce que mes amis ont vécu. Il y a une introspection qui s’opère, inévitablement. Personnellement, je regarde des épisodes de mon passé et je peux vraiment dire : ah, mon Dieu, cette fois-là, j’ai dépassé une limite ou, cette fois-là, je n’ai pas mis ma limite! Les dernières années m’ont permis de comprendre que j’avais le droit de dire non et je ne me donnais pas nécessairement la permission de le faire, avant.

Voilà pourquoi j’avais envie de raconter une histoire qui s’est passée il y a longtemps, pour que les protagonistes soient capables d’avoir une distance, même émotive. Ils ont tout mis dans des glaces et ça va dégeler, au cours de la pièce.

Rébecca Déraspe. Photo : Harrison Rupnik.

Vous abordez souvent des thèmes graves, mais toujours dans la nuance et la bienveillance. Jamais vous ne jugez les personnages, jamais vous ne les condamnez.

Dans mon rapport à l’écriture, j’ai besoin d’être en contact avec des êtres humains, qui sont complexes. Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc, c’est toujours nuancé. C’est d’autant plus important avec un sujet comme celui des Glaces. C’est facile de condamner, mais je n’avais pas envie de le faire. Évidemment, il ne faut pas tomber dans l’impunité non plus, mais juste condamner, ça ne règle pas le problème.

Vous ne prétendez pas, avec votre spectacle, apporter de solution au fléau de la violence sexuelle. Votre contribution au débat se situe plutôt dans la réflexion, la discussion.

Je suis juste une petite fille de 39 ans, qui n’a pas les ressources pour dire ce qu’il faut faire. Je veux plutôt qu’on se demande : qu’est-ce qu’on doit faire de plus, en tant que société? Je souhaite qu’on réfléchisse tous ensemble, en assumant le fait qu’on est des êtres humains qui essaient de comprendre un enjeu.

Il y a également le thème de la famille qui est omniprésent dans la pièce. Quelqu’un qui a posé un geste répréhensible est aussi un fils, un frère, un conjoint… Son entourage est également victime collatérale des conséquences de son acte.

Complètement! Comment on fait pour continuer d’aimer quelqu’un qui a fait quelque chose avec lequel on est viscéralement en désaccord? Moi, je pense que si la personne a le courage d’assumer les conséquences de son geste et le désir de réparer quelque chose, il y a une piste de réflexion à explorer.

Lorsqu’on aborde un sujet aussi délicat que la violence sexuelle, est-ce qu’on travaille d’une manière différente avec les comédiens masculins et féminins?

On a une équipe incroyable et généreuse. Ça a amené des conversations très sensibles. Je sens les hommes extrêmement touchés par mon texte. Et, chaque fois qu’il y a un enchaînement, tous les hommes présents pleurent. J’essaie de comprendre pourquoi ça les bouleverse à ce point. Est-ce qu’ils revisitent certains souvenirs dans leur tête? J’extrapole, mais je ne suis pas nécessairement capable de mettre des mots sur la réaction des comédiens. Ce qui est sûr, c’est que l’équipe est composée de sensibilités bienveillantes et que les artistes apprennent beaucoup au contact de cette matière.

Quel impact souhaitez-vous que le spectacle ait sur le public?

J’ai vraiment envie que le spectateur sorte avec le désir de discuter, le courage de revisiter sa propre histoire, le courage de la solidarité concrète. J’ai l’impression qu’on est beaucoup dans les discours. Il y a des réflexes qui sont extrêmement ancrés en nous. Et, parfois, et je vais parler pour moi, le concret ne suit pas toujours le discours, notamment dans l’intimité des relations. Si une amie te confie quelque chose, auras-tu les mains tendues? Tes idéaux, est-ce que tu les incarnes tout le temps? Appliquer sa vision du monde au quotidien, c’est ça, le défi. Ça m’a fait prendre conscience de l’ampleur du courage que ça demande.

Je me questionne sur les espaces de solidarité, également. Je pense entre autres au documentaire T’as juste à porter plainte, de Léa Clermont-Dion, qui est vraiment incroyable. Elle montre à quel point c’est difficile pour la victime, qui devient aussi une suspecte aux yeux de certains et dans la salle d’audience. C’est ça aussi qui doit changer. C’est ce que j’essaie de dire, dans le spectacle. On a une responsabilité collective, notamment dans l’éducation de nos enfants. Il y a une piste de solution pour l’avenir dans tout ça.

Quel est le plus grand défi que vous avez dû surmonter dans la création de la pièce?

On est tous hyper conscients du sujet, de l’impact que ça peut avoir, de façon positive ou négative. Est-ce qu’on en parle de la bonne façon? Je n’ai vraiment pas envie d’être démagogique, d’être dans le tout noir ou tout blanc.

Je pense que, la clé, c’est de le faire pour les bonnes raisons, c’est-à-dire, à mon avis, pour essayer de comprendre ce qu’on doit faire, en tant que société.

Depuis la première vague du mouvement #MeToo, il y a eu de nombreux documentaires, fictions, prises de parole publiques sur le sujet de la violence sexuelle. Avez-vous craint, pendant le processus de création, que la population devienne un peu saturée à propos de ce sujet?

Bien sûr! Mais je pense que c’est un angle qu’on n’a pas nécessairement vu encore, dans les différentes productions. Et je pense que je raconte une bonne histoire, celle d’une famille. On évoque un point de saturation, un discours qui se poursuit dans l’espace public, mais rien ne se passe concrètement! Moi, mon outil, c’est le théâtre. C’est ma façon de mettre ma pierre dans l’édifice, de participer à la réflexion collective.

Les Glaces, de Rébecca Déraspe, mise en scène par Maryse Lapierre, est présentée du 4 octobre au 5 novembre 2022, au Théâtre La Licorne, à Montréal, puis du 23 au 26 novembre 2022, au Théâtre Alphonse-Desjardins, à Repentigny, le 1er décembre 2022 au Centre culturel Berger, à Rivière-du-Loup, et du 10 janvier au 4 février 2023 au Théâtre La Bordée, à Québec.

Pour toutes les infos, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Après avoir été projeté en première mondiale au dernier Festival international du film sur l’art à Montréal, le documentaire Libre d’Hélène Bélanger-Martin sort en salles au Québec. Dans ce neuvième film, la cinéaste suit pendant un an le sculpteur et peintre André Desjardins dans la réalisation d’une œuvre colossale. Un moyen métrage intimiste, qui révèle toute la beauté de la création et des liens humains tissés grâce à elle.

Libre, c’est également le nom d’un personnage sculpté par André Desjardins, un être, comme l’explique son créateur, ancré dans le moment présent. Un an après la naissance de cet homme de bronze aux traits sereins, l’artiste décide d’en faire une version monumentale, de deux fois la taille d’une personne, un format qui révèlera encore davantage la puissance tranquille de l’œuvre. Il se donne un an pour accomplir sa besogne.

C’est cette aventure artistique, mais aussi humaine qui est illustrée par le film d’Hélène Bélanger-Martin. Un processus qui n’est pas dépourvu de rationalité, découpé en de multiples étapes, toutes cruciales et nécessitant une patience sans faille. De la numérisation des croquis à l’installation sur les berges du lac Memphrémagog, en passant par l’impression en 3D d’une armature et la correction d’erreurs de proportions, chaque instant fascine.

Les scènes dans lesquelles André Desjardins réfléchit, scrute, façonne, polit, retouche son personnage sont magnifiques dans leur simplicité. Dépouillées de tout artifice, ces séquences sont entrecoupées de plans de la nature québécoise dans ce qu’elle a de plus beau à offrir. Quelques mélodies minimalistes signées Nicolas Marquis se greffent à l’ensemble et ajoutent à l’état méditatif dans lequel nous plonge Libre.

On ne peut qu’être impressionné par le talent de l’artiste, un sculpteur et peintre autodidacte, passionné depuis l’enfance par la construction, le design et l’art. On est tout autant touché par ses souvenirs de jeunesse, souvent heureux, mais parfois tragiques, et les confidences d’un de ses plus fidèles amis et de collectionneurs dévoués.

Pas étonnant qu’Hélène Bélanger-Martin ait su aussi bien nous présenter l’artiste et l’homme qu’est André Desjardins. D’abord, il est son conjoint depuis de nombreuses années. Ils se connaissent par cœur. Mais la cinéaste est également une passionnée d’art, tellement qu’elle a ouvert la Galerie Roccia, à Magog, il y a maintenant plus de 10 ans. Son amour indéfectible pour la création visuelle se remarque tout autant dans sa filmographie, dans laquelle on retrouve de multiples courts métrages documentaires consacrés aux artistes et à leurs méthodes de travail.

Pour André Desjardins, créer, c’est le bonheur. On ne pourrait être plus d’accord. En assistant à la naissance de son œuvre plus grande que nature dans Libre, on se sent privilégié, ému, avec un désir renouvelé de découvrir le travail de nos artistes québécois.

Libre d’Hélène Bélanger-Martin est présenté du 13 au 19 avril à la Cinémathèque québécoise de Montréal, puis en tournée partout dans la Belle Province. Pour les dates, on consulte le site d’André Desjardins ici.

Pour voir la bande-annonce du documentaire, c’est ici.

Pour visionner gratuitement certains des films d’Hélène Bélanger-Martin, notamment Émotionnisme et Devenir, qui mettent aussi en vedette André Desjardins, c’est ici.

Pour en savoir plus sur la Galerie Roccia, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Alors que la douceur du printemps nous remonte le moral et que les mesures sanitaires liées à la COVID-19 s’allègent, la 38e édition du Festival international de cinéma Vues d’Afrique de Montréal bat son plein! Pour son retour en salles, l’événement propose, du 1er au 10 avril, 118 films produits par 44 pays, dont 30 % ont été réalisés par des femmes. C’est donc un rendez-vous à la Cinémathèque québécoise, pour savourer des courts, moyens et longs métrages, de la fiction, des documentaires et des œuvres d’animation. Entre deux projections, on fait un détour par Le Baobar, le temps de prendre un verre, assister à un spectacle de musique ou d’humour et déguster la poutine africaine créée par le chef Edmond, du restaurant et traiteur Diolo.

Fragments Urbains a vu, pour vous…

Ayam

En arabe, « ayam » signifie « des jours ». Dans ce superbe court métrage signé par la Marocaine Sofia El Khyari, on suit les préparations pour la fête de l’Aïd al-Adha, la plus importante célébration dans la religion musulmane. Tout en faisant la cuisine, trois générations de femmes se racontent : la volonté de la grand-mère d’apprendre à lire et à écrire, à une époque où c’était mal vu pour une jeune fille de fréquenter l’école, l’histoire d’amour avec le grand-père… Un récit de famille tissée serrée, de tradition et de résilience, illustré par des dessins aux riches coloris, couchés sur du papier kraft. Rien d’étonnant à ce que les films de cette créatrice de talent aient été récompensés dans de nombreux festivals, un peu partout sur la planète.

Présenté dans un programme de courts métrages, le 2 avril.

Autrement d’ici

Lénine Nankassa Boucal, d’origine sénégalaise, a choisi de s’établir à Rimouski, il y a plusieurs années. Aujourd’hui, il est coordonnateur du Cabaret de la diversité, qu’il a fondé, une initiative pour favoriser le vivre-ensemble dans cette municipalité du Bas-du-Fleuve. Dans ce moyen métrage, il se confie sur sa vie dans la Belle Province et nous présente deux de ses concitoyens, Shanti Park, de la Corée, et Moustapha Ndongo, du Sénégal. Avec son documentaire, le sympathique cinéaste souhaite montrer que les immigrants s’intéressent à la culture du Québec et que celui-ci est ouvert à l’intégration des nouveaux arrivants.

On est vite touchés par les confidences de Lénine, Shanti et Moustapha, qui ont trouvé ici de nouveaux amis, mais qui se sont surtout découvert de nouveaux talents et des forces insoupçonnées. Des propos empreints d’humour et de sagesse, illustrés par les magnifiques images de cette région de l’est de la province, signées Philippe Chaumette. À voir absolument.

Présenté le 2 avril.

Balalaïka

Sur le rythme de Kalinka d’Ivan Larionov, classique folk russe du 19e siècle, une femme vit de bien étranges hallucinations… après avoir dégusté un poulet rôti! On rigole franchement devant les expressions tantôt abasourdies, tantôt horrifiées de l’héroïne. Un très court film, à peine deux minutes, franchement réjouissant, réalisé par la talentueuse cinéaste et illustratrice égyptienne Maii Mohamed Abd Ellatif. On en aurait pris bien plus!

Présenté dans un programme de courts métrages, le 2 avril.

La Danse des béquilles

Chaque matin, Penda se rend à Dakar pour mendier, pour aider sa mère à faire vivre la famille. Assise dans son fauteuil roulant, les écouteurs sur les oreilles, elle ondule au rythme de la musique et sourit, exultant la joie de vivre. Rêvant de devenir danseuse professionnelle, elle voit dans sa rencontre avec un jeune chorégraphe la chance d’atteindre son objectif. Mais, pour ce faire, elle devra surmonter bien des obstacles, notamment son handicap et l’attitude autoritaire de sa mère, autrefois elle-même artiste.

Ce court métrage du Sénégalais Yoro Niang est une histoire d’amour… pour la danse, narrée au son des tambours et de la kora. On y constate la puissance de l’art dans l’émancipation d’une femme victime de préjugés, tout autant que dans la réconciliation des membres d’une famille brisée.

Dans les rôles de Penda et de sa mère, Dème Coumba et Mbaye Awa sont sublimes. Ces grandes interprètes nous livrent des personnages complexes, parfois durs, mais qui irradient la grâce et la beauté. Mentionnons que la musique du film a été composée par Didier Awadi, membre fondateur du groupe hip-hop Positive Black Soul, bien connu des Montréalais.

Présenté le 2 avril.

Bande-annonce ici.

Dans les mains de Dieu

Quand Samir, qui travaille dans une boutique d’électronique, a besoin de repos, il oublie son téléphone et va marcher dans le désert marocain. Cette fois, il part à la recherche de son pote Saïd, sans garantie de le retrouver. Sur le chemin, il fait des rencontres, raconte de savoureuses anecdotes de tournage, se confie sur ses maints échecs professionnels et se livre à l’introspection.

Le réalisateur Mohamed Rida Gueznai a tourné son premier film à l’âge tendre de 12 ans, avec pour tout équipement un téléphone portable. Lauréat, en 2019, de plusieurs prix pour son court métrage documentaire Le Vieil Homme et la montagne, présenté dans 24 pays, il récidive avec un excellent premier long métrage, Dans les mains de Dieu, un road movie avec, comme vedette, un homme au cœur d’or et à l’esprit bohème, nostalgique d’un temps où les gens ne dépendaient pas des nouvelles technologies. Le cinéaste, aidé de son collègue Mohamed Reda Kouzi, signe une direction photo spectaculaire, qui sublime les beautés du pays de l’Afrique du Nord. Un artiste à surveiller.

Présenté le 2 avril.

Pour toutes les informations, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

VEGA, la nouvelle création du chorégraphe et directeur artistique Emmanuel Jouthe, une coproduction de sa troupe Danse Carpe Diem et de Danse-Cité, tient son nom de l’étoile la plus étincelante dans le ciel d’été. Dans cette œuvre, quatre danseurs évoluent, se métamorphosent, tissent et brisent des liens, dans un perpétuel mouvement circulaire. Ils composent une constellation d’astres dont la brillance ne peut être ignorée, mais qui demeurent un mystère à élucider. Avec ce ballet cosmique, l’artiste se questionne sur l’impermanence de l’identité individuelle et collective et pose la question : connaît-on vraiment les gens que nous côtoyons?

Dès les premiers instants du spectacle, les interprètes Élise Bergeron, Rosie Constant, James Phillips et Marilyne St-Sauveur tracent des figures rondes sur les planches immaculées, sous une auréole lumineuse qui fait office de soleil. Ils battent la cadence à l’unisson, le visage quasi imperturbable, simplement rougi par l’effort, sans se toucher ni même prendre conscience de l’existence de l’autre. Puis, au fil des déplacements rotatifs, ils prennent leur envol, s’affirment dans leur unicité, s’attirent et se repoussent. Étoiles ou humains, leur trajectoire de vie est parsemée de rencontres avec des acolytes qu’ils croisent, imitent, soutiennent, abandonnent. Entre ces brèves réunions, les danseurs mettent et enlèvent des accessoires et des pièces de vêtements disposés tout autour de la scène. Leur personnalité se moule à ces costumes. Certaines étoffes briment la liberté d’esquisser des gestes, alors que les chaussures modifient la façon de se mouvoir dans l’espace.

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

En créant cette danse, Emmanuel Jouthe a voulu rendre concret l’espace occupé par l’imaginaire humain. Le public se laisse rapidement prendre au jeu de cette multitude de circonvolutions, rêvant à 1 000 histoires, visitant avec les personnages des territoires jusqu’alors inexplorés et qu’on tente désespérément de défricher, tout en conservant un port d’attache, lien rassurant dans l’univers de tous les possibles. Le travail minimaliste d’Antoine Berthiaume, à la composition musicale, et de Paul Chambers, à la conception des éclairages, accompagne parfaitement ce rituel hypnotique, accompli par des interprètes de talent, qui s’abandonnent volontiers à cette valse étourdissante.

Photo : Emily Gan / Danse-Cité.

VEGA est une œuvre déstabilisante, bouleversante autant par son étrangeté que par sa portée universelle. Au fur et à mesure que les mutations surviennent, les protagonistes sont personne et tout le monde à la fois, déchirés entre l’envie de se faire voir, de se faire reconnaître, et le désir d’anonymat. Seuls ensemble, ils mènent une quête identitaire aussi grisante qu’anxiogène. Quatre êtres réduits au silence, qui évoluent pourtant dans un espace densément peuplé, une image qui trouve écho dans notre société où les fractions sociales pullulent. Avec sa dernière proposition, le chorégraphe et directeur artistique prouve encore une fois qu’il sait reproduire avec justesse sur scène les tourments de l’âme humaine et les complexes rapports qui nous unissent.

VEGA, d’Emmanuel Jouthe, a été présentée au Théâtre Rouge du Conservatoire, à Montréal, du 25 au 28 novembre 2021.

Bande-annonce de VEGA, c’est ici.

Pour plus d’informations sur Emmanuel Jouthe, c’est ici.

Texte : Karine Tessier

Photo : Amber Dawn Bellemare.

Des miroirs. Une série de photographies dissimulées sous un foulard. Une tringle à laquelle sont suspendus des sous-vêtements de dentelle. Des rideaux de mousseline immaculés. Mais, surtout, des centaines d’égoportraits disposés sur un immense mur blanc. Bienvenue dans le boudoir de Amber Dawn Bellemare, lieu de présentation de son exposition/performance The Parlour Project : Spider, Fly, and Web, à laquelle se grefferont un livre et un documentaire.

L’œuvre immersive de la Montréalaise, à la fois provocante et sensible, illustre la réalité vécue par l’artiste en tant qu’ex-travailleuse du sexe, utilisant les contributions de ses clients pour financer ses créations. Amber Dawn Bellemare y explore les multiples facettes de la femme, réfléchit sur la marchandisation de son corps, le pouvoir, les normes sociales ou les médias sociaux. Encore davantage, elle souhaite raconter le plus vieux métier du monde en allant au-delà de la superficialité, des préjugés, de la honte. Rencontre avec une artiste pour qui rien n’est tout noir ou tout blanc.

Comment vous est venue l’idée de départ de cette exposition/performance?

Je ne pourrais pas dire qu’elle est venue d’une seule chose. Comme je réalise des documentaires, c’est cette partie du projet qui m’a d’abord intéressée. Les égoportraits, pris avant et après chacun de mes rendez-vous avec mes clients, et parfois pendant, n’étaient que pour moi. Lorsque je les montrais à mes amis proches, chacun avait quelque chose de différent à dire. C’était le point de départ de multiples conversations.

Ça m’a fait réaliser à quel point ces photographies – il y en a plus de 1 800 – étaient pleines de sens, mettaient au défi les gens. C’est une opportunité d’aller au-delà de l’image, de vraiment voir la personne qui se cache derrière. On y voit la beauté de la vérité, et c’est ce que je voulais exprimer avec ces portraits de moi.

Photo : Amber Dawn Bellemare.

Quelle réaction vous souhaitez susciter auprès du public qui visitera votre studio?

Je souhaite qu’ils voient quelque chose en eux qui les aidera à adoucir leur cœur, à s’élever. Toutefois, si les gens ne voient dans mon œuvre qu’un objet sexy qui les allume, je ne les jugerai pas. Ce sera suffisant. Ça suscitera d’autres types de conversations.

J’espère créer un moment d’intimité avec le public, connecter avec lui. Il y a plusieurs niveaux à cette interaction. Les gens qui viendront visiter mon boudoir, ils s’offriront, en quelque chose, et j’en suis pleine de gratitude. Ensuite, il y a la connexion, l’espace où nous pourrons nous rejoindre.

Comment s’est passée votre collaboration avec Sharon Bass, artiste, aînée et mentor Anishinaabe, White Thunderbird Woman?

Lorsque nous nous sommes rencontrées à Vancouver, nous avons immédiatement connecté. Elle dirigeait un cercle de guérison. Et elle m’a prise sous son aile. Elle m’a enseigné qu’on doit cultiver qui nous sommes vraiment. L’identité, c’est l’histoire de notre vie.

Sharon m’a guidée dans le processus créatif, qui permet l’exploration de notre identité et la guérison de l’âme. J’ai voulu créer un espace sécuritaire, avec des rituels spécifiques, pour réfléchir et partager. Parce qu’il est nécessaire d’apaiser les deux parties pour arriver à un dialogue ouvert et sincère, puis à une réconciliation.

Comment The Parlour Project vous a-t-il changée?

Je ne me sens plus vulnérable, désormais. Il m’a permis de me libérer à l’aide de la vérité. Ç’a été une guérison pour moi. Et j’ai aussi pu assister à la guérison d’autres personnes, dans le processus. Me présenter en tant qu’artiste, plutôt que comme travailleuse du sexe, ça ouvre des canaux de communication, notamment avec ma famille. Les gens ont accepté ma démarche. Et c’est très apaisant, thérapeutique, de se défaire de la honte ou du jugement.

Vous dépeignez le travail du sexe d’une manière inédite, qui va au-delà du traumatisme, qui a même certains aspects positifs.

Beaucoup de travailleuses du sexe se décriraient comme thérapeutes. Le sexe est souvent utilisé comme un remède. Bien sûr, je ne parle pas pour toutes. Mais, d’une certaine manière, comme c’est le cas avec le reiki, la massothérapie, la psychologie, nous connectons avec les gens qui nous paient.

Le traumatisme peut être incroyable! Il s’agit d’une opportunité de grandir, de développer une plus grande compassion pour l’être humain. Je choisis de voir le beau dans l’être humain.

 

L’exposition/performance The Parlour Project : Spider, Fly, and Web de Amber Dawn Bellemare est présentée du 19 au 28 septembre au studio du Wolf Lab, un collectif montréalais de femmes artistes.

Pour toutes les informations : www.theparlourproject.com

CRITIQUE DU SPECTACLE NOUS SERONS ÉTERNELS, MIS EN SCÈNE PAR PATRICK R. LACHARITÉ.

Texte : Karine Tessier

Photo : Maxim Paré Fortin.

Le maître de cérémonie (Yann Villeneuve), vêtu telle une souveraine élisabéthaine, déclame des vers shakespeariens d’une voix singulière, travaillée. Sa performance est brève, mais sa présence captive. L’artiste est charismatique, un peu à la manière des icônes du glam rock.

Derrière un rideau diaphane, le MC prend place sur le trône au fond de la scène, occupée par une douzaine d’acteurs. Ceux-ci, habillés de fringues aux couleurs saturées, dansent chacun pour soi sur des rythmes électroniques hypnotiques, signés Y pop coit. Ce défouloir épuisant les fait se rapprocher de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un groupe qui saute à l’unisson, sur un beat qui rappelle les pulsations cardiaques.

Tâchant de reprendre leur souffle, ils s’assoient en bord de scène. Sauf une actrice, qui, lentement, sensuellement, se dénude et s’enduit de boue. Transformée ainsi en déesse de la mythologie antique, elle se dirige de l’autre côté de la scène, garni de faux gazon et de quantité de fleurs de plastique multicolores. C’est vers ce jardin d’Éden synthétique que la rejoindront les autres, en se mouvant au ralenti sur le sol.

Ainsi s’ouvre Nous serons éternels, d’après les sonnets de Shakespeare, la dernière création du metteur en scène Patrick R. Lacharité et de La Fratrie. Pendant un peu plus d’une heure, les rimes de l’écrivain anglais seront revisitées en français, en anglais, en mouvement, en chanson.

Cette relecture de ces poèmes écrits au 17e siècle, en collaboration avec le dramaturge William Durbau, est aussi brillante qu’astucieuse. On y met de l’avant des thèmes chers à Shakespeare, comme l’amour, la luxure, la trahison, la cruauté du monde, en soulignant leur intemporalité. Mais on se défait en même temps des codes élisabéthains. Ici, la passion amoureuse et charnelle est épanouie, et non sujette au châtiment. Quant à la vengeance, bien qu’encore douloureuse, elle verse généreusement dans l’absurde.

Dans cet emballant exercice de style, certaines scènes se démarquent. À chacune des présences de Sébastien Tessier, en animateur de discussion féru de l’œuvre shakespearienne, les éclats de rire retentissent. Le public craque totalement pour l’humour décalé du comédien et les malaises délicieux créés par son personnage.

Photo : Maxim Paré Fortin.

Dans un tout autre registre, le numéro de danse de Natacha Filiatrault est à couper le souffle. Son énergie brute prend toute la place, alors qu’elle exécute une sorte de danse de la séduction, passant de mouvements bruts inspirés du krumping à des gestes très sexuels. Au sol, elle termine sa performance en récitant des rimes, le souffle court et le regard intense.

Quant à Alexa-Jeanne Dubé, assise dans l’espace gazonné et fleuri, elle règle ses comptes avec un amoureux qui l’a trahie, se plongeant la tête à répétition dans un seau d’eau métallique. Une illustration si juste de cet état quelque part entre le désespoir et l’autodérision qui nous anime en période de rupture amoureuse.

Photo : Maxim Paré Fortin.

La proposition de Patrick R. Lacharité et de La Fratrie est une réflexion pertinente sur l’intemporalité, qui se déroule dans un univers onirique. On s’y interroge sur notre envie d’éternité. Ne s’agit-il que d’une manifestation de notre ego surdimensionné, d’un besoin croissant d’être vu, en cette ère de selfies et d’autopromotion sur les médias sociaux? Ou désire-t-on plutôt transmettre aux générations futures des valeurs, des œuvres artistiques, un héritage, que l’on croit menacés en ces temps où le monde semble courir à sa perte?

Nous serons éternels n’apporte pas toutes les réponses aux questions qui nous animent. Ce spectacle ludique et débridé sert plutôt à nous faire prendre conscience de l’absurdité de la vie. Pourquoi s’interroger sur l’éternel, alors que la pérennité de notre monde nous semble de moins en moins sûre, à une époque où les conflits armés, les catastrophes naturelles et les manifestations de repli identitaire défraient la manchette au quotidien? Laissons plutôt nos pulsions de vie triompher pendant qu’il en est encore temps. Ce qui importe, c’est le temps qu’il nous reste.

Nous serons éternels, mis en scène par Patrick R. Lacharité, est présenté à La Chapelle, Scènes contemporaines, du 23 au 28 avril.

Toutes les informations : lachapelle.org/fr/nous-serons-eternels-dapres-les-sonnets-de-shakespeare

CRITIQUE DU SPECTACLE UN TEMPS POUR TOUT, de Sovann Rochon-Prom Tep.

Texte : Karine Tessier

Photo : David Wong.

Un large carré blanc dessiné au sol. Dispersés tout autour, des coussins, des plantes et quelques meubles dépareillés. De la fumée odorante s’échappe d’un encensoir. Alors que les spectateurs prennent place sur les coussins à même le sol ou dans les gradins, on distribue des tasses de thé brûlant.

Jean-Édouard Pierre Toussaint alias Sangwn s’avance seul sur le carré blanc. Il esquisse d’abord ses mouvements avec retenue. Puis, les muscles et l’esprit s’échauffent, et la chorégraphie s’intensifie. Le corps du danseur est traversé par toute une gamme d’émotions, se traduisant parfois par de puissants soubresauts. Sa respiration fait office d’instrument, rompant le silence qui règne dans la salle. Des sons s’échappent de sa bouche. Un mot, répété encore et encore : love. Tantôt avec tendresse, tantôt avec fureur. « Bonjour, tout le monde! Je sais pas quoi dire, comme. » Mais Sangwn a déjà tellement dit.

Ce numéro d’ouverture d’Un Temps pour tout, dernière œuvre de Sovann Rochon-Prom Tep, a su rapidement capter l’attention du public. Il est en quelque sorte une invitation à suivre les trois danseurs dans leurs expérimentations vocales et physiques pendant la prochaine heure et demie. Et, à cet appel, les spectateurs répondent spontanément oui.

À Sangwn, se joignent Fréderique Dumas alias PAX et Ja James Britton Johnson alias Jigsaw. Les trois se connaissent depuis une dizaine d’années et tirent leur épingle du jeu dans la communauté hip-hop montréalaise et internationale. En solo, en duo ou tous ensemble, ils enchaînent les mouvements naturellement, avec complicité, et se lancent des encouragements.

Le spectacle, le plus souvent, prend des airs de grosse fête improvisée. Mais, à d’autres moments, le temps semble suspendre son vol. Lorsque Jigsaw, après des salutations fébriles, raconte par sons et par gestes l’histoire d’arbres, le public est tantôt amusé, tantôt provoqué, mais surtout captivé. Le danseur se démarque à nouveau dans la deuxième partie du spectacle, alors qu’il chante des mélodies aux accents blues couché sur le sol, les yeux fermés.

Contrairement à bien des performances de danse hip-hop, Un Temps pour tout est interprété sur de la musique jouée en direct. Les talentueux Vithou Thurber-Prom Tep, au clavier, et Thomas Sauvé-Lafrance, à la batterie, performent en totale symbiose avec les trois interprètes. Leurs rythmes, alliant hip-hop organique et synthétiseurs très 80’s, sont hyper accrocheurs.

Habitués des battles et des jams, les trois danseurs ont dû, cette fois, sortir de leur zone de confort. Travailler avec ou sans musique, chanter, offrir des performances plus longues qu’à leur habitude. Ils relèvent ce défi avec brio, bien ancrés dans le moment présent, le cœur grand ouvert.

Sovann Rochon-Prom Tep. Photo : Christian Moreau.

Pour mettre au monde sa dernière création, le polyvalent Sovann Rochon-Prom Tep a travaillé en étroite collaboration avec les artistes, considérant leur vécu comme une matière première. Ils ont fonctionné par essais et erreurs pour mettre en scène leurs expériences, bien plus que des mouvements. L’humain est au centre de l’œuvre. Et le ressenti a préséance sur l’esthétisme.

Les spectateurs qui étaient dans la salle le soir de la première pourront témoigner de la sensibilité du danseur et chorégraphe… qui a profité de l’entracte pour faire tirer des gâteaux, marinades et savons fabriqués par lui et son père. Une scène plus que rare dans les théâtres et qui a touché droit au cœur les gens présents.

Photo : David Wong.

Un Temps pour tout est une réflexion à la fois intime et collective sur l’identité et la communication humaine. Bien que le public ne participe pas concrètement au spectacle, il est interpellé de multiples façons. On tente d’attirer son attention, de l’impressionner, de le provoquer, de tisser des liens avec lui. Il assiste aux multiples métamorphoses de Sangwn, PAX et Jigsaw, qui se présentent à lui avec sincérité.

Il s’agit d’un spectacle qui intéressera autant les amateurs de hip-hop que ceux qui n’y connaissent rien. Mais, surtout, c’est un baume au cœur en ces temps où on semble parfois manquer cruellement d’humanité.

Un Temps pour tout, de Sovann Rochon-Prom Tep, a été présenté du 31 janvier au 4 février. Il sera repris en supplémentaires les 13, 14 et 17 mai prochains, toujours à La Chapelle Scènes contemporaines.

Toutes les informations ici : lachapelle.org/fr/programmation/un-temps-pour-tout

 

 

Texte : Karine Tessier

Photo : Andrée Lanthier.

Alors que la noirceur tombe dans la salle du Centaur Theatre, les premières notes de Power de Kanye West résonnent. Une pièce dont les paroles, de la bouche même du rappeur américain, représentent un hymne au super-héros, tout en abordant les thèmes de la critique, du désespoir et du suicide. Une œuvre qui illustre à la fois la force de la communauté noire américaine et les combats qu’elle mène toujours contre les inégalités sociales.

Au son de cette puissante mélodie, s’installent sur scène Pharus et ses copains de la chorale de la Charles R. Drew Prep School, Bobby, A.J., David et Junior. À la fin de l’année scolaire, le groupe est chargé d’interpréter l’hymne de l’école, Pharus en tête. Lorsqu’un de ses camarades lui murmure des quolibets homophobes, le jeune homme cesse de chanter, ce qui irrite le directeur Marrow. Quand celui-ci demande des comptes à Pharus, l’élève refuse de dénoncer son collègue, affirmant que ça ne respecterait pas le code d’honneur de l’institution d’enseignement. Mais, l’automne venu, alors que Pharus est en dernière année et à la tête de la chorale, il a bien l’intention de se venger.

Photo : Andrée Lanthier.

Choir Boy, de Tarell Alvin McCraney et mise en scène par Mike Payette, ouvre la saison du Centaur Theatre, qui fête cette année son 50e anniversaire. Un choix qui reflète l’audace de cette institution montréalaise, qui a toujours fait la part belle à la diversité dans sa programmation. Le drame musical a été joué pour la première fois en 2012, au Royal Court Theatre de Londres. Et, en décembre prochain, il sera monté à Broadway, au Manhattan Theatre Club. Dire que cette première new-yorkaise est attendue relève de l’euphémisme, alors que se multiplient les critiques élogieuses dans les médias nord-américains et européens.

Auteur de plusieurs pièces, le dramaturge McCraney s’est fait connaître par plusieurs en remportant, avec le réalisateur Barry Jenkins, l’Oscar du meilleur scénario – adaptation pour le film Moonlight, lors de la cérémonie des Academy Awards de 2017. Un coming-of-age bouleversant, qui aborde les thèmes des identités afro-américaine, masculine et sexuelle. Des sujets rarement abordés dans une même création, que ce soit sur les planches ou au grand écran.

Dans Choir Boy, les mêmes thématiques complexes. On y suit le cheminement d’un groupe d’adolescents noirs, pensionnaires d’une école privée. Entre les murs de l’institution, véritable microcosme de la société américaine, ils seront déchirés entre amitiés et rivalités. Bien difficile, en effet, de faire abstraction de l’intolérance ou de la jalousie d’autrui, quand la construction de notre propre identité passe par le regard de l’autre. Ces garçons dans la fleur de l’âge prendront conscience que, si un monde de possibilités s’ouvre à eux, les obstacles qui jalonneront la route qui les sépare de leurs rêves sont légion.

Dans le rôle principal, le charismatique Steven Charles campe un Pharus aussi flamboyant qu’attachant, dont la résilience est inspirante. À ses côtés, Lyndz Dantiste émeut par la compassion et l’ouverture qu’il insuffle au personnage de A.J., joueur dans l’équipe de baseball du lycée et cochambreur de Pharus. La complicité entre les deux acteurs offre au public certaines des plus belles scènes du spectacle, dont l’inoubliable moment où A.J. coupe les cheveux de son ami, qui refuse de se rendre chez le barbier, où on se moquait de lui alors qu’il était enfant.

Photo : Andrée Lanthier.

À leurs côtés, Patrick Abellard offre une performance toute en nuances. Son Bobby, qui n’hésite pas à faire appel à l’intimidation pour faire sa place, dévoile peu à peu sa vulnérabilité. Christopher Parker est quant à lui solide dans son interprétation de David, un jeune homme chrétien troublé. Si le personnage de Junior se fait plus discret dans l’histoire de Choir Boy, Vlad Alexis vole la vedette à chacune de ses apparitions, grâce à un talent de comique hors du commun.

Les cinq jeunes bourrés de talent sont épaulés par deux artistes d’expérience, qu’on a déjà vus sur les planches du Centaur Theatre : Quincy Armorer, aussi directeur artistique du Black Theatre Workshop, dans le rôle de l’autoritaire directeur Marrow, et Paul Rainville, dont le Mr. Pendleton tentera d’enseigner aux élèves à développer leur créativité. Tous deux livrent leurs lignes avec un sens du rythme sans faille.

Photo : Andrée Lanthier.

La distribution impressionne tout autant dans les numéros musicaux, exécutés avec énergie et passion. Si les opinions et les caractères des cinq jeunes les divisent, leurs voix s’unissent à la perfection. Les pièces gospel témoignent de l’histoire complexe des États-Unis et des luttes de la communauté afro-américaine, qui subit, encore aujourd’hui, les contrecoups de l’esclavage. Leur interprétation a cappella met en valeur les histoires tragiques qu’elles racontent.

Une scène inoubliable : la chanson Motherless Child, livrée sous la douche par les élèves. Baignés d’une lumière éthérée, les adolescents chantent cette pièce traditionnelle décrivant la séparation des esclaves d’avec le continent africain, leur culture, leur famille. Ici, Motherless Child fait également écho à la solitude des garçons, séparés de leurs parents et se sentant incompris par le monde qui les entoure. Chapeau au directeur musical de Choir Boy, Floydd Ricketts, aussi chef du McGill University Chorus, qui a su rendre les mélodies pertinentes et modernes, tout en respectant leur importance historique.

On s’en voudrait de ne pas mentionner le travail inspiré de Rachel Forbes, dont la scénographie, astucieuse, permet de maximiser l’espace, tout en situant l’action dans une demi-douzaine de lieux. Les décors, magnifiques, sont mis en valeur par les éclairages élégants conçus par Andrea Lundy.

Photo : Andrée Lanthier.

Choir Boy se veut une réflexion nuancée sur l’identité et le respect des traditions, qui provoque le spectateur en le confrontant à ses propres préjugés. Comment concilier héritage culturel et émancipation? Une question encore plus difficile à se poser lorsqu’elle s’ajoute aux interrogations inhérentes à l’adolescence, aux rêves et aux peurs caractéristiques de l’âge tendre. Une pièce au cœur grand comme le monde, dont l’intelligence n’a d’égal que sa grande beauté.

Choir Boy, de Tarell Alvin McCraney, mise en scène par Mike Payette, est présentée du 9 au 28 octobre 2018, au Centaur Theatre, à Montréal.

Toutes les informations ici : www.centaurtheatre.com/choir-boy.html

Texte : Karine Tessier

The Butterfly Effect, de Mirov. Photo : artch.org

Du 27 au 30 septembre, si vous passez par le Square Dorchester, vous aurez la surprise d’y trouver plus de 150 œuvres d’art contemporain, disposées dans des arches blanches. Des peintures, photographies, sculptures, impressions textiles et meubles créés par 21 artistes émergents, dans le cadre de la première édition du projet Artch. Fragments Urbains est allé faire un tour sur les lieux, alors qu’on s’affairait au montage de cette exposition d’envergure.

Chimère, de Richelli. Photo : artch.org

L’initiative, née d’une collaboration entre Art souterrain, Carrefour jeunesse-emploi Montréal Centre-Ville et JACK Marketing, vise à faire découvrir des créateurs prometteurs au public autant qu’au marché de l’art. Ces jeunes ont été sélectionnés par un jury au printemps dernier, puis ont reçu une bourse de 1 000 dollars, ainsi qu’une formation d’une cinquantaine d’heures. Ils ont pu approfondir leurs connaissances sur la gestion financière, les droits d’auteur, le réseautage, la scénographie. L’événement qui se déroule cette semaine, en plein cœur du centre-ville de la métropole, c’est la dernière étape du projet Artch.

Femme paisible, de Kevin Calixte. Photo : artch.org

« J’ai déjà fait des expositions dans des cafés ou de petites galeries privées. Mais un événement grand public, touchant autant de personnes, c’est la première fois, confie Geneviève Bilodeau-Blain. Avoir la reconnaissance d’un jury aussi prestigieux, c’est vraiment super. C’est un beau projet inclusif, même pour ceux qui, comme moi, sont autodidactes. »

« Je me souviens de la phrase d’un galeriste : « Si je prends un artiste sous mon aile, c’est comme si je me mariais avec. » Ça permet de comprendre pourquoi c’est dur d’entrer dans les galeries. Artch permet d’avoir une belle visibilité, de se faire connaître du grand public, mais également du marché de l’art », explique Thierry du Bois.

Diffractions glorieuses, de Maude Corriveau. Photo : artch.org

Pour épauler ces 21 jeunes créateurs, des ambassadeurs, comme Claudine Prévost, Francisco Randez, Anaïs Favron et Marie-France Bazzo. Et aussi une porte-parole, Geneviève Borne. « J’adore la jeunesse! J’adore encourager, donner un coup de main. J’ai été vraiment charmée par les œuvres de ces jeunes artistes là. Et j’ai été charmée par le programme, en fait, qui leur donne accès à un lieu très, très passant du centre-ville de Montréal. »

L’exposition Artch, c’est également l’occasion idéale de s’initier à l’art contemporain, qu’on souhaite ici démocratiser. Des ateliers gratuits sont d’ailleurs offerts au public. Et, sur le site du Square Dorchester, des guides seront présents pour orienter les visiteurs et leur faire découvrir leurs coups de cœur.

Crumbling Love, de Chloé Larivière. Photo : artch.org

« L’art contemporain, c’est tellement large. Le public ne sera pas forcément touché par tel art, mais il le sera par un autre. Et je pense que chacun peut trouver un petit peu un point d’accroche », affirme Thierry du Bois. Le photographe présentera notamment au public son projet Monster. « Ce sont des têtes de tracteurs, qui représentent un peu le visage des travailleurs des temps modernes. Les nouvelles technologies ont complètement transformé le paysage dans lequel on est. »

Monster, de Thierry du Bois. Photo : artch.org

De son côté, Geneviève Bilodeau-Blain propose aux visiteurs des collages colorés. « Je joue avec le microscopique, le macroscopique. Je mélange l’abstraction avec ce que je pense être du moléculaire, comme toutes les dynamiques internes. C’est un peu un clin d’œil à ma formation universitaire en biologie. »

Balançoire, de Geneviève Bilodeau-Blain. Photo : artch.org

Amoureuse de l’art contemporain, la porte-parole Geneviève Borne lance une invitation enthousiaste au public. « Ça nourrit l’âme de contempler de l’art. C’est ludique! C’est inspirant! Ce que je souhaite aux jeunes artistes, c’est de vendre des œuvres au public, d’être découverts par des collectionneurs ou des galeries d’art. C’est comme ça, parfois, qu’une carrière est lancée. »

Buffet galbé, de Douglas Mackay. Photo : artch.org

L’exposition Artch est présentée du 27 au 30 septembre 2018 au Square Dorchester, à Montréal.

Pour toutes les informations : artch.org