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CRITIQUE DU SPECTACLE NOUS SERONS ÉTERNELS, MIS EN SCÈNE PAR PATRICK R. LACHARITÉ.

Texte : Karine Tessier

Photo : Maxim Paré Fortin.

Le maître de cérémonie (Yann Villeneuve), vêtu telle une souveraine élisabéthaine, déclame des vers shakespeariens d’une voix singulière, travaillée. Sa performance est brève, mais sa présence captive. L’artiste est charismatique, un peu à la manière des icônes du glam rock.

Derrière un rideau diaphane, le MC prend place sur le trône au fond de la scène, occupée par une douzaine d’acteurs. Ceux-ci, habillés de fringues aux couleurs saturées, dansent chacun pour soi sur des rythmes électroniques hypnotiques, signés Y pop coit. Ce défouloir épuisant les fait se rapprocher de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un groupe qui saute à l’unisson, sur un beat qui rappelle les pulsations cardiaques.

Tâchant de reprendre leur souffle, ils s’assoient en bord de scène. Sauf une actrice, qui, lentement, sensuellement, se dénude et s’enduit de boue. Transformée ainsi en déesse de la mythologie antique, elle se dirige de l’autre côté de la scène, garni de faux gazon et de quantité de fleurs de plastique multicolores. C’est vers ce jardin d’Éden synthétique que la rejoindront les autres, en se mouvant au ralenti sur le sol.

Ainsi s’ouvre Nous serons éternels, d’après les sonnets de Shakespeare, la dernière création du metteur en scène Patrick R. Lacharité et de La Fratrie. Pendant un peu plus d’une heure, les rimes de l’écrivain anglais seront revisitées en français, en anglais, en mouvement, en chanson.

Cette relecture de ces poèmes écrits au 17e siècle, en collaboration avec le dramaturge William Durbau, est aussi brillante qu’astucieuse. On y met de l’avant des thèmes chers à Shakespeare, comme l’amour, la luxure, la trahison, la cruauté du monde, en soulignant leur intemporalité. Mais on se défait en même temps des codes élisabéthains. Ici, la passion amoureuse et charnelle est épanouie, et non sujette au châtiment. Quant à la vengeance, bien qu’encore douloureuse, elle verse généreusement dans l’absurde.

Dans cet emballant exercice de style, certaines scènes se démarquent. À chacune des présences de Sébastien Tessier, en animateur de discussion féru de l’œuvre shakespearienne, les éclats de rire retentissent. Le public craque totalement pour l’humour décalé du comédien et les malaises délicieux créés par son personnage.

Photo : Maxim Paré Fortin.

Dans un tout autre registre, le numéro de danse de Natacha Filiatrault est à couper le souffle. Son énergie brute prend toute la place, alors qu’elle exécute une sorte de danse de la séduction, passant de mouvements bruts inspirés du krumping à des gestes très sexuels. Au sol, elle termine sa performance en récitant des rimes, le souffle court et le regard intense.

Quant à Alexa-Jeanne Dubé, assise dans l’espace gazonné et fleuri, elle règle ses comptes avec un amoureux qui l’a trahie, se plongeant la tête à répétition dans un seau d’eau métallique. Une illustration si juste de cet état quelque part entre le désespoir et l’autodérision qui nous anime en période de rupture amoureuse.

Photo : Maxim Paré Fortin.

La proposition de Patrick R. Lacharité et de La Fratrie est une réflexion pertinente sur l’intemporalité, qui se déroule dans un univers onirique. On s’y interroge sur notre envie d’éternité. Ne s’agit-il que d’une manifestation de notre ego surdimensionné, d’un besoin croissant d’être vu, en cette ère de selfies et d’autopromotion sur les médias sociaux? Ou désire-t-on plutôt transmettre aux générations futures des valeurs, des œuvres artistiques, un héritage, que l’on croit menacés en ces temps où le monde semble courir à sa perte?

Nous serons éternels n’apporte pas toutes les réponses aux questions qui nous animent. Ce spectacle ludique et débridé sert plutôt à nous faire prendre conscience de l’absurdité de la vie. Pourquoi s’interroger sur l’éternel, alors que la pérennité de notre monde nous semble de moins en moins sûre, à une époque où les conflits armés, les catastrophes naturelles et les manifestations de repli identitaire défraient la manchette au quotidien? Laissons plutôt nos pulsions de vie triompher pendant qu’il en est encore temps. Ce qui importe, c’est le temps qu’il nous reste.

Nous serons éternels, mis en scène par Patrick R. Lacharité, est présenté à La Chapelle, Scènes contemporaines, du 23 au 28 avril.

Toutes les informations : lachapelle.org/fr/nous-serons-eternels-dapres-les-sonnets-de-shakespeare

CRITIQUE DE LOVE PROJET DE CAROLE LAURE

Texte : Véronique Bonacorsi

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Montréal d’aujourd’hui. Nid d’une jeunesse confrontée aux innombrables possibilités que lui propose une cité en ébullition culturelle. Avec Love Projet, la cinéaste québécoise Carole Laure offre sa mosaïque d’une génération Y en mal d’affection, trouvant du réconfort dans l’art.

Photo : Les Films Séville

Photo : Les Films Séville

Réunis autour de la metteure en scène Touga (Céline Bonnier) pour un projet multidisciplinaire, une douzaine de jeunes créateurs vivent au rythme de leurs inspirations et angoisses, typiques des adultes de mi-vingtaine à début trentaine. Louise (Magalie Lépine-Blondeau) est en mission pour sauver sa petite sœur adoptive du gouffre de la drogue. Alex (Benoît McGinnis), épris de Louise, passe la plupart de son temps libre à s’occuper de son père affaibli. Mère d’un petit garçon qu’elle délaisse, Julie (Natacha Filiatrault) tente par la thérapie de se sortir du cycle des aventures d’un soir et de retrouver confiance en elle. Pendant que leurs corps, leurs voix s’entrelacent harmonieusement sous les projecteurs, les relations de ces aspirants artistes montréalais, entre eux comme en dehors de la scène, palpitent de manière tumultueuse.

Photo : Les Films Séville

Photo : Les Films Séville

À l’image de ses protagonistes touche-à-tout, la scénariste et réalisatrice de Love Projet a mené une carrière au pluriel, passant auparavant par le jeu et le chant. Un rapport intime à la musique que Laure parvient à exprimer à travers sa quatrième réalisation cinématographique, d’autant plus que la bande originale fut composée par son conjoint, Lewis Furey. Même leur fils Tomas (l’interprète du personnage d’Eliott) a écrit quelques pièces pour le film.

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Photo : Les Films Séville

De cette collaboration familiale résulte une ambiance envoûtante, presque de transe, qui enveloppe le scénario du début à la fin. La bande sonore moderne exacerbe l’aspect théâtral de la vie des personnages. Les chorégraphies complexes, intentionnellement imparfaites, où les danseurs s’agrippent, se débattent, reflètent le besoin acharné du contact humain de ces jeunes. Laure tenait à démontrer cette théâtralité que semble avoir adoptée la génération de ses enfants. Ils vivent aussi intensément qu’ils jouent. Mais bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une comédie musicale, la présence de la musique enterre parfois la dramatique, déjà trop dispersée entre les nombreuses intrigues.

Photo : Les Films Séville

Photo : Les Films Séville

Une distribution multitalentueuse était requise pour réussir ce portrait crédible du domaine des arts. Ce sont donc bien les acteurs du film que l’on voit exécuter tous les numéros. Un groupe de visages frais, chacun accomplissant l’exigeante tâche de façon impressionnante. Par ailleurs, il faut souligner la présence étincelante de Natacha Filiatrault, nouvelle venue au grand écran, qui parvient à rendre sympathique sa Julie si complexée.

Photo : Les Films Séville

Photo : Les Films Séville

Love Projet de Carole Laure expose des personnages intéressants, vrais, qui résonnent sûrement plus avec le spectateur vivant cet angoissant passage à l’âge adulte. Mais en voulant présenter son hommage à la jeunesse, la réalisatrice a été un peu trop ambitieuse, en tentant d’incorporer le plus de relations emblématiques possible de cette quête d’amour contemporaine. Nous imaginons plus facilement ces histoires déployer leurs ailes narratives grâce au format d’une série télé.

La première mondiale de Love Projet a eu lieu en octobre dernier, lors de la tenue du Festival du nouveau cinéma à Montréal. Le film est à l’affiche dans les salles de cinéma québécoises depuis le 24 octobre 2014.