Articles Tagués ‘Oscar du meilleur film en langue étrangère’

CRITIQUE DU FILM A SEPARATION D’ASGHAR FARHADI

Texte : Karine Tessier

separation_couple

Devant le juge, Simin (Leila Hatami) demande à son mari Nader (Peyman Moadi) la permission de divorcer. Le magistrat explique qu’une raison valable doit motiver sa demande : un époux intoxiqué, violent ou qui refuse de lui donner de l’argent de poche. Mais Nader est gentil et aime Simin. Il refuse simplement de la suivre à l’étranger, elle qui ne souhaite qu’une chose : offrir à leur fille de 11 ans (Sarina Farhadi, la fille du réalisateur) une vie meilleure.

Après des échanges corsés, le mari accepte le divorce, mais conserve la garde de l’enfant. Veillant également sur son père atteint d’Alzheimer et de plus en plus diminué, Nader engage une aide-soignante (Sareh Bayat). Mais celle-ci n’a jamais parlé à son mari (Shahab Hosseini), un cordonnier au chômage dépressif et instable, ni demandé sa permission avant d’accepter le job. Lorsqu’une altercation dégénère entre Nader et sa nouvelle employée, les conséquences seront dramatiques. Alors que, sous nos yeux, l’intrigue se tisse et les rebondissements foisonnent, on est sûr que d’une chose : personne n’en sortira indemne.

separation_enfant

Les premières scènes de A Separation, écrit et réalisé par Asghar Farhadi, jettent les bases d’un drame familial qui rappelle les classiques d’Ingmar Bergman, une ressemblance qu’a reconnue sans hésitation l’Iranien de 42 ans dans moult entrevues. Mais rapidement, l’œuvre verse dans le thriller. Le cinéaste trace alors un véritable labyrinthe où, étourdis et abasourdis, ses personnages tentent de trouver (ou de faire) leur chemin.

La réalisation est sobre, laissant toute la place aux êtres complexes, jamais vraiment méchants, mais pas non plus blancs comme neige. En résulte un suspense passionnant filmé à la manière d’un documentaire, une méthode qu’Asghar Farhadi a déjà employée dans ses précédents longs métrages. À certains moments, on n’en oublie presque que le film est une fiction, une impression renforcée par le fait que l’ensemble de la distribution nous est à toutes fins pratiques inconnue. Criants de vérité, tous les acteurs sont impeccables, dirigés d’une main de maître par le réalisateur, qui, on ne sera pas étonné, a longtemps étudié le théâtre. Un véritable tour de force.

separation_père

Asghar Farhadi est aussi resté fidèle à ses thèmes de prédilection que sont le couple, la famille, le mensonge, la situation de la femme iranienne, le travail et la violence, d’abord présents dans Fireworks Wednesday et About Elly, puis dans le récent The Past. Et, bien sûr, il y a la séparation. Ou plutôt les séparations. Au-delà du divorce de Simin et Nader, d’autres déchirures modifieront à jamais les rapports faits d’orgueil et de préjugés qui lient les personnages entre eux. Oppositions entre les classes sociales, entre tradition et modernité, entre ville et campagne, entre le devoir et le droit, entre le bien et le mal.

Pas étonnant, donc, que A Separation obtienne les faveurs à la fois du public, des critiques et de l’industrie cinématographique. Le film a remporté l’Ours d’or à Berlin, alors que l’Ours d’argent de la meilleure actrice et celui du meilleur acteur ont été décernés à l’ensemble de la distribution. S’ajoutent le César du meilleur film étranger en France, ainsi que le Golden Globe et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à Hollywood.

separation_mêlée

Cette proposition d’Asghar Farhadi a un peu pris par surprise la planète cinéma depuis sa sortie. Parce que son auteur et ses acteurs nous sont encore peu familiers. Parce que le scénario est d’une intelligence remarquable et les images, d’une qualité indiscutable, tout ça avec un budget de moins de un million de dollars. Mais surtout, parce que le film nous révèle un Iran auquel on ne s’attend pas, infiniment plus nuancé que ce que nous montrent généralement les médias occidentaux. A Separation, c’est le portrait d’une société déchirée entre raison et passion, esquissé par un artiste d’exception.

A Separation d’Asghar Farhadi est disponible en DVD depuis août 2012.

Site Web officiel du film: www.sonyclassics.com/aseparation

Texte : Karine Tessier

Photos : S.E. Amesse

Le réalisateur québécois Kim Nguyen.

Le cinéaste québécois Kim Nguyen.

Après 12 jours et une centaine de films issus de plus de 30 pays, la 9e édition du Festival international du film black de Montréal (FIFBM) s’est achevée dimanche dernier. Les cinéphiles et invités rassemblés au Cinéma Impérial ont eu droit à une soirée de clôture éclectique, à l’image de l’événement, le plus important du genre au Canada.

La présidente du FIFBM présente le Prix avant-garde 2013 au cinéaste Kim Nguyen.

La présidente du FIFBM Fabienne Colas présente
le Prix avant-garde 2013 à Kim Nguyen.

Le tout premier Prix avant-garde du FIFBM a été remis au réalisateur québécois Kim Nguyen pour « ses efforts exceptionnels de sensibilisation aux réalités noires ». Le quatrième long métrage du polyvalent cinéaste, Rebelle, raconte le destin tragique des enfants soldats et a été tourné entièrement en République démocratique du Congo.

Kim Nguyen s'est dit très touché de recevoir le Prix avant-garde 2013 remis par le FIFBM.

Kim Nguyen s’est dit très touché de recevoir le Prix avant-garde 2013 remis par le FIFBM.

Applaudie aux quatre coins du monde, la plus récente œuvre du cinéaste a été récompensée du Prix du meilleur long métrage au Festival du film de TriBeCa à New York, d’une mention spéciale du jury œcuménique à l’influent Festival du film de Berlin, en plus d’être nommée pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à la dernière cérémonie des Academy Awards.

Les jurés de cette 9e édition du Festival international du film black de Montréal ont aussi fait connaître les courts, moyens et longs métrages qui ont retenu leur attention cette année.

Court métrage documentaire : My Last Swim de Lesego Lediga, le portrait inspirant d’une jeune sud-africaine victime de viol qui entame un douloureux processus de guérison.

La cinéaste Lesego Lediga reçoit le prix du meilleur court métrage documentaire pour The Last Swim.

La cinéaste Lesego Lediga reçoit le prix du meilleur court métrage documentaire
pour My Last Swim.

Court métrage de fiction : Kiruna-Kigali de Goran Kapetanovic, les histoires entrecroisées de deux femmes qui s’apprêtent à donner naissance à leur enfant, l’une en Suède, l’autre au Rwanda.

Mention spéciale : The Runner de Parker Ellemran, le parcours d’un garçon du Cap qui cherche de l’argent pour payer l’opération de sa mère.

Le metteur en s`cene et réalisateur Michel Monty, président du jury pour les courts et moyens métrages.

Le metteur en scène et réalisateur Michel Monty,
président du jury pour les courts et moyens métrages.

Moyen métrage documentaire : Finding Hilliwood de Leah Warshawski et Chris Towey, une œuvre qui braque les projecteurs sur l’industrie du 7e art au Rwanda.

L'artiste et réalisatrice Jennifer Alleyn, présidente du jury pour les longs métrages documentaires.

L’artiste et réalisatrice Jennifer Alleyn,
présidente du jury pour les longs métrages documentaires.

Long métrage documentaire : Small Small Thing de Jessica Vale, l’histoire bouleversante d’une fillette de sept ans qui, violée par un cousin, doit subir de multiples interventions médicales pour recouvrer la santé. Un combat que la petite a fini par perdre, il y a quelques mois à peine, à l’âge de 13 ans.

Long métrage de fiction : The Retrieval de Chris Eska, un drame qui se déroule pendant la guerre de Sécession américaine.

Mention spéciale : Something Necessary de Juddy Kibinge, le récit d’une femme qui tente de refaire sa vie après la guerre civile qui a ravagé le Kenya suite aux élections de 2007.

Le réalisateur Lewis Cohen, président du jury pour les longs métrages de fiction.

Le réalisateur Lewis Cohen,
président du jury pour les longs métrages de fiction.

La soirée s’est terminée avec la projection, en première canadienne, de la comédie désopilante Denis de Lionel Bailliu. On y suit les aventures de Vincent (le très populaire Fabrice Éboué), qui a vu deux des femmes de sa vie le quitter pour Denis (Jean-Paul Rouve), un hurluberlu professeur de lutte.

Rendez-vous à l’automne 2014 pour le 10e anniversaire du Festival international du film black de Montréal!

Site Web officiel du Festival international du film black de Montréal: www.montrealblackfilm.com

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR ET SCÉNARISTE JUAN ANDRÉS ARANGO

Texte : Karine Tessier

Photos : S.E. Amesse

Juan2

Tomás, un adolescent afro-colombien, quitte son village pour le quartier de La Playa, à Bogota. Pour un jeune noir, faire sa place dans une ville à majorité blanche est ardu. Le garçon trouvera dans la coiffure un moyen d’expression et de survie. Tout comme les esclaves avant lui, eux qui tissaient dans les cheveux de leurs enfants des cartes routières pour leur permettre de s’échapper.

Présenté d’abord à Cannes en 2012, en sélection officielle dans la section Un certain regard, La Playa D.C. est projeté en première nord-américaine au Festival international du film black de Montréal, avant de sortir en salles dans la belle province l’hiver prochain. Rencontre avec son scénariste et réalisateur, le Colombien et Montréalais d’adoption Juan Andrés Arango.

Le réalisateur Juan Andrés Arango et l'acteur Luis Carlos Guevara font la une du journal colombien El Universal lors de leur passage à Cannes en 2012.

Le réalisateur Juan Andrés Arango et l’acteur Luis Carlos Guevara font la une
du journal colombien El Universal lors de leur passage à Cannes en 2012.

Votre film a connu tout un parcours depuis un an et demi!

Oui. Le Festival international du film black de Montréal, c’est le 57e festival pour La Playa D.C.! Le long métrage a été présenté dans plus de 35 pays : en Europe, en Asie, en Amérique latine…

Le scénario est très riche. Il est question de l’esclavage, des relations familiales, de la vie urbaine, du racisme, de la pauvreté. Comment vous est venue cette histoire complexe?

Je suis né, j’ai grandi, puis j’ai fait mes études universitaires à Bogota. J’ai vu la ville se transformer radicalement. Auparavant, les Noirs étaient concentrés sur la côte pacifique de la Colombie. Quand la région a été touchée par la guerre, il y a eu un exode énorme vers les grandes villes, comme Bogota. Depuis 10 ans, 300 000 Afro-Colombiens sont venus s’y installer!

Traditionnellement, l’endroit était très raciste, n’ouvrait pas facilement ses portes à ces jeunes qui arrivaient. Mais la ville se métamorphose malgré elle. La communauté afro-colombienne, qui a une culture très particulière, très forte, est en train de changer l’identité de la Bogota.

On sent bien cette tension, cette résistance face à la mixité dans votre film. Mais jamais on n’assiste à des altercations violentes.

C’est un racisme assez discret. Tout le monde dit : « Non, je ne suis pas raciste. Je les trouve sympathiques, les Noirs. » Quand ils jouent dans l’équipe de soccer colombienne ou qu’ils se lancent dans la chanson, ça va très bien. Mais pour vraiment leur ouvrir les portes, leur donner de bons emplois ou, je ne sais pas, accepter que sa fille marie un Afro-Colombien, c’est une autre affaire.

Mais il y a des manifestations très fortes! La police fait beaucoup de profilage racial. Ces jeunes se font arrêter constamment, se font fouiller constamment juste parce qu’ils sont noirs.

Juan3

Dans votre long métrage, on découvre une tradition qui remonte à l’époque de l’esclavage. Des femmes tissaient des cartes routières sur la tête de leurs enfants pour indiquer à leur mari comment s’échapper.

Les noms de ces coiffures et les motifs qu’on y voit sont encore présents aujourd’hui sur la côte pacifique. Tout naturellement, les Afro-Colombiens arborent cela sur leur tête. Et ils sentent qu’il y a une force, une symbolique à ces coiffures.

Par contre, à Bogota, les jeunes sont davantage influencés par la culture hip-hop, afro-américaine. Et ils commencent à mélanger les traditions et les tendances urbaines, pour créer des images sur leur tête qui représentent leur appartenance à la ville. Ils cherchent leur place dans cette ville. Ils actualisent, si on veut, cette idée de coiffure qui est aussi une carte pour trouver leur chemin.

Comment avez-vous découvert les acteurs qui personnifient les frères Tomás (Luis Carlos Guevara), Chaco (James Solís) et Jairo (Andrés Murillo)?

Ce sont tous des acteurs non professionnels. Il s’agit de leur premier rôle au cinéma. On a commencé par une recherche dans les quartiers de Bogota où vivent les Afro-Colombiens, les réfugiés internes. Ça a duré environ deux ans. Et ça nous a permis d’identifier les espaces de la ville où il y avait une forte présence afro-colombienne.

Ensuite, pour le casting, on est allés dans 15 de ces quartiers, des coins marginaux de la ville, aidés par des organismes communautaires. On a rencontré des jeunes qui avaient un parcours très similaire à celui des personnages. Par exemple, James, qui joue le frère aîné Chaco, il est réellement un immigrant clandestin. Il a fait sept voyages, caché dans des bateaux, vers des endroits différents : aux États-Unis, au Canada… Et il s’est fait déporter sept fois. Et comme son personnage, il est coiffeur et fait aussi du car tuning. Je pense que c’est essentiel lorsqu’on travaille avec des non-professionnels. Ils doivent partir d’une réalité qu’ils connaissent bien.

On a commencé des ateliers dramatiques avec eux. On a visité tous les espaces où on allait filmer. Ils ont appris à faire toutes les actions qu’ils devaient faire dans le film. Luis Carlos, l’interprète de Tomás, n’était pas coiffeur. Alors, pendant plusieurs mois, il est allé dans un salon de coiffure afro-colombien. Il a coiffé des clients, négocié les prix. Quand on a commencé à tourner, les jeunes étaient très, très confortables avec toute l’équipe. Il y avait un lien de confiance très fort entre eux et moi.

laplaya

Devant le succès remporté par La Playa D.C. et sa présentation dans plus de 35 pays, comment les acteurs réagissent-ils?

Très bien! Pendant la préparation, puis le tournage du film, on a fait très attention. On leur a expliqué que ça allait être une expérience incroyable, que ça allait changer leur vie pendant six mois, mais qu’ils n’allaient pas devenir des stars à Hollywood. Parce que c’est très facile d’entrer dans cette idéologie.

Ils ont beaucoup voyagé. Luis Carlos est venu à Cannes avec nous. Les acteurs sont aussi allés en Espagne, au Mexique… Mais, pour la plupart, ils sont retournés ensuite à leur vie.

Ils n’envisagent pas devenir acteurs?

Luis Carlos, oui, peut-être. On a trouvé une place dans une école d’art dramatique pour lui à Bogota. Il a 18 ans maintenant. Il est en train de décider s’il veut suivre ce chemin ou pas. Mais je pense qu’il a un talent extraordinaire.

Il s’agit de votre premier long métrage de fiction. Vous avez surtout travaillé sur des documentaires, en tant que réalisateur et directeur photo.

Mon film, c’est de la fiction, mais à la frontière du documentaire. Oui, c’est de la fiction parce qu’il y avait un scénario. C’est une vision très personnelle de la communauté afro-colombienne. Mais j’ai écrit ce scénario en m’inspirant de plusieurs histoires vraies que j’ai entendues pendant des années.

Et on a tourné comme on l’aurait fait pour un documentaire. On avait une équipe très réduite, très flexible. Et plutôt que de créer des espaces artificiels, on s’est camouflés dans les lieux réels de la ville. On ne voulait pas non plus placer des figurants partout. On a préféré profiter de l’énergie qu’il y avait dans ces endroits.

La direction photo a d’ailleurs été faite par un Québécois, Nicolas Canniccioni. Il travaille beaucoup en fiction maintenant, mais il vient, comme moi, du documentaire. Il a cette capacité d’observer et de réagir très spontanément.

Juan

Vous avez appris cette semaine que La Playa D.C. a été choisi par la Colombie pour la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Quelle a été votre réaction?

Je suis chaque fois très surpris quand je reçois une bonne nouvelle, que ce soit pour Cannes ou les oscars, parce que c’est un film qu’on a fait avec très peu de moyens. Je trouve que c’est un très beau geste parce que c’est de croire en des œuvres qui racontent des histoires différentes, qui prennent des risques en ce qui a trait au langage visuel, avec des acteurs non professionnels. Je pense que c’est un choix courageux.

Et votre prochain film, vous y pensez déjà?

Présentement, je suis en période de recherche pour mon deuxième long métrage, qui a pour titre X-Quinientos. C’est un film choral avec trois histoires : une à Montréal, une à Mexico et une à Buenaventura en Colombie. Les personnages vivent une situation similaire, mais dans des environnements radicalement différents. On y réfléchit sur la façon dont les Américains, du nord et du sud, se regardent les uns, les autres, sur les représentations artificielles qu’on se crée.

Mon objectif est de terminer le scénario en février prochain. Et j’espère commencer le tournage à la fin de 2014. Heureusement, j’ai déjà l’appui de la SODEC et du Conseil des arts et des lettres du Québec. Pour La Playa D.C., on n’a eu aucune aide québécoise ou canadienne. Alors, je suis très content!

Site Web officiel du film La Playa D.C. : www.laplayadc.com