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CRITIQUE DE LA PIÈCE ANTIGONE AU PRINTEMPS, DE NATHALIE BOISVERT, MISE EN SCÈNE PAR FRÉDÉRIC SASSEVILLE-PAINCHAUD

Texte : Karine Tessier

D’abord, la voix cristalline de Mykalle Bielinski. Une envolée vocale bouleversante qui annonce déjà la tragédie qui nous sera racontée. Puis, s’amènent nonchalamment trois frères et sœur de 20 ans, Étéocle (Xavier Huard), Polynice (Frédéric Millaire-Zouvi) et Antigone (Léane Labrèche-Dor), qui se remémorent leur enfance au chalet, au bord de la rivière Éternité. Des souvenirs caressants qui font vite place à une mémoire amère, alors que les jeunes sont devenus la cible de moqueries, fruits de l’inceste entre leurs parents Jocaste et Œdipe.

Devenus adultes, dans un Montréal fictif où tonne la révolte populaire, Étéocle, Polynice et Antigone doivent prendre parti. Le premier joint les rangs des forces de l’ordre, menées par le corrompu Créon, qui réprime toute protestation au nom de la prétendue paix sociale. Les deux autres sont avec le peuple. Lors d’une émeute, les frères se battent, et Polynice meurt. Sa dépouille devient une pièce à conviction pour les autorités, qui souhaitent incriminer les protestataires.

Photo : Francis Sercia.

Présentée du 4 au 22 avril 2017 à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, Antigone au printemps est une production de la jeune compagnie Le Dôme – créations théâtrales, fondée il y a deux ans. En se regroupant, Nathalie Boisvert, Frédéric Sasseville-Painchaud et Olivier Sylvestre se sont donné comme mission de réenchanter le monde, de proposer une parole qui incite l’humain à reprendre son destin, individuel et collectif, en main. Là où s’arrête la raison, l’espoir, l’émotion et le rêve animent l’homme.

Lorsqu’elle écrit, Nathalie Boisvert s’inspire beaucoup de ce qui défraie les manchettes : les manifestations du printemps 2012 au Québec, les centaines d’oiseaux retrouvés morts, notamment aux États-Unis et en Italie, la même année. Pour ce nouveau spectacle, elle a choisi d’ancrer dans l’actualité les personnages de la pièce de Sophocle. L’héroïne, née à l’Antiquité, est intemporelle. Alors que les hommes combattent, elle se tient debout, seule, le poids du monde sur ses épaules. Il est souvent plus aisé d’éviter le débat et de rester dans le rang. Antigone, elle, affirme que, parfois, il faut savoir dire non, enfreindre la loi pour servir la justice. L’histoire de toutes les révolutions. L’œuvre, d’abord un récit sur le rapport au pouvoir, aborde également des thèmes universels : la liberté, les droits humains, la corruption, la famille, la solitude. Ce qui en fait bien plus qu’un spectacle politique.

Photo : Francis Sercia.

Pour mettre en scène ce texte lucide, les deux complices de Nathalie Boisvert au Dôme – créations théâtrales, Frédéric Sasseville-Painchaud, assisté d’Olivier Sylvestre. Ceux-ci ont placé les acteurs dans un décor tout de roche et de bitume. Percutants, Huard, Millaire-Zouvi et Labrèche-Dor déclament leurs lignes comme on le ferait avec un manifeste. Une abondance de mots livrés par moments telle une pétarade, ce qui fait écho au tumulte qui se produit dans ce Montréal fictif. Une poésie théâtralisée au rythme haletant, qui laisse à peine au spectateur le temps de reprendre son souffle.

Photo : Francis Sercia.

 

La scénographie, signée Xavier Mary, se veut toute horizontale, linéaire. Comme une ligne du temps qui lie les événements du passé, du présent et de l’avenir. Puisque, oui, le combat n’est pas sans appel. Les créateurs d’Antigone au printemps suggèrent l’espoir, alors que filtre à maintes reprises la lumière sur cette scène plongée dans la pénombre. De très beaux éclairages réalisés par Chantal Labonté.

Photo : Francis Sercia.

Dans cet ensemble sombre, la distribution apparaît telle une armée de soldats de plomb, qui, même en évoquant des souvenirs douloureux de leur enfance, ne laissent jamais leur armure se fissurer. Leur prise de parole n’en est que plus intense, enflammée. Les trois comédiens butent à quelques reprises sur les mots, mais on leur pardonne aussitôt, le texte de Nathalie Boisvert représentant de toute évidence un défi impressionnant. En toutes circonstances, le trio tente de sauver sa peau, tout comme Étéocle, Polynice et Antigone font tout en leur pouvoir pour rester intègres, peu importe le camp choisi. Un courage qui nourrit notre propre réflexion et qui, le souhaite assurément l’équipe de la pièce, nous incite à passer à l’action.

Photo : Francis Sercia.

Antigone au printemps, de Nathalie Boisvert, mise en scène par Frédéric Sasseville-Painchaud, est à l’affiche du 4 au 22 avril 2017 à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

Pour toutes les informations : www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/60

Le texte du spectacle est également disponible dans les librairies depuis le 12 avril 2017.

CRITIQUE DE LA PIÈCE LE LAC AUX DEUX FALAISES, DE GABRIEL ROBICHAUD, MISE EN SCÈNE PAR LOUIS-DOMINIQUE LAVIGNE

Texte : Karine Tessier

Photo : Emmanuel Albert.

Au milieu d’une forêt luxuriante, vivent Ti-Gars (Marc-André Robichaud) et Pépère (Éric Butler), qui ne peuvent compter que l’un sur l’autre depuis le décès de la grand-mère, ainsi que des parents de l’adolescent. Devant les deux hommes, le mystérieux Lac aux deux falaises, qui n’en a plus qu’une depuis qu’un des escarpements a été emporté par la tempête. Un jour, une jeune fille (Jeanne Gionet-Lavigne) surgit d’un arbre et se met à coller aux baskets de Ti-Gars. À celle qui prétend lui sauver la vie dans le futur, il s’ouvre peu à peu, lui raconte le deuil, les efforts de Pépère pour faire repousser la falaise disparue et ses rêves.

Photo : Emmanuel Albert.

Le Lac aux deux falaises est le premier texte pour la scène signé Gabriel Robichaud, un jeune auteur acadien. Après une tournée qui l’a mené dans plusieurs écoles des provinces maritimes, le poète et dramaturge s’est demandé quel type de spectacle il aimerait voir s’il était lui-même adolescent à notre époque. Résultat de sa réflexion, sa fable est maintenant présentée sur les planches québécoises, après une série de représentations en Acadie. Dans cette production du Théâtre de l’Escaouette de Moncton et du Théâtre de Quartier de Montréal, on reconnaît la langue populaire acadienne, mais l’œuvre n’a pas été écrite en chiac. Une volonté de la part de Robichaud de montrer que son coin de pays ne se résume pas à ce mélange d’anglais et de français.

Photo : Emmanuel Albert.

Si la pièce flirte à maintes reprises avec des éléments surnaturels, il serait erroné de la qualifier de fantastique. Pour les personnages du Lac aux deux falaises, l’inexplicable n’est jamais source de questionnements. Il fait partie intégrante de leur réalité, plus ou moins définie pour le public. Gabriel Robichaud a déjà confié en entrevue écrire pour que « rien ne soit impossible ». La mission qu’il s’est donnée lui fait emprunter au courant réaliste magique, un terme utilisé pour la première fois en 1925 par des critiques d’art allemands. Sont considérées comme appartenant à ce mouvement des œuvres comme celles de l’écrivain colombien Gabriel García Márquez ou du cinéaste québécois André Forcier. Si la magie imprègne définitivement les textes et les images, elle n’est jamais menaçante et se fait discrète. Exit la multiplication d’effets merveilleux. Ici, l’atmosphère est onirique, mais se tient loin de la science-fiction.

Photo : Emmanuel Albert.

L’histoire présentée par les trois comédiens fait du bien. Sa candeur, jamais risible, est touchante. Dans cette structure de tiges métalliques, qui fait office tant de forêt que de falaise, on discute de résilience, du fragile équilibre qu’il faut développer pour à la fois s’affranchir des douleurs du passé et conserver au fond de soi des souvenirs précieux de personnes disparues. Le Lac aux deux falaises, c’est également le récit d’un rite de passage, qui permettra à Ti-Gars de déployer ses ailes, tout en préservant sa complicité avec son grand-père. Comme un songe, le spectacle nous laisse une impression floutée. La seule certitude du spectateur à la sortie du théâtre est qu’il restera toujours un aspect intangible à notre réalité.

Le Lac aux deux falaises, de Gabriel Robichaud, mise en scène par Louis-Dominique Lavigne, est présentée du 21 au 25 mars au Théâtre Denise-Pelletier, à Montréal, puis le 7 avril au Théâtre Les Gros Becs, à Québec.

Pour toutes les informations : www.denise-pelletier.qc.ca

Le Lac aux deux falaises- Extrait from théâtre l’Escaouette on Vimeo.

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CRITIQUE DE LA PIÈCE LE TERRIER DE DAVID LINDSAY-ABAIRE,
MISE EN SCÈNE PAR JEAN-SIMON TRAVERSY

Texte : Karine Tessier

Photo : Cédric Lord.

Photo : Cédric Lord.

Il y a quelques mois, Danny, quatre ans, le fils unique de Becca et Louis, a été happé mortellement devant leur résidence. Depuis, le couple s’efforce de vivre, de survivre. La mère envisage de vendre la maison, souhaitant effacer tous les souvenirs liés à leur petit garçon, des souvenirs aussi beaux que douloureux. Pour Louis, c’est plutôt la fuite en avant, s’étourdir en participant à maintes activités, comme des groupes de soutien pour les personnes endeuillées.

Les semaines passent. Becca et Louis refoulent questions, larmes et colère. Le temps semble suspendu. Mais plus pour très longtemps. La femme et l’homme brisés se retrouvent devant un choix qui décidera du reste de leur existence : rester paralysés quelque part entre le rêve et la réalité… ou rouvrir leurs plaies, dans l’espoir d’être heureux à nouveau.

Photo : Cédric Lord.

Photo : Cédric Lord.

Les comédiens Rose-Anne Déry et André-Luc Tessier, interprètes d’Isa, la sœur enceinte de Becca, et de Jason, l’adolescent qui a heurté Danny, ont découvert la pièce Le Terrier il y a cinq ans, pendant qu’ils poursuivaient leurs études au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Cet automne, ils ont choisi d’en faire leur première production, après avoir fondé leur compagnie Tableau Noir.

Le Terrier est la version française de Rabbit Hole, qui a valu à l’Australien David Lindsay-Abaire le Pulitzer en 2007. Si l’œuvre vous semble familière, c’est qu’elle a aussi fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2010, signée John Cameron Mitchell et mettant en vedette Nicole Kidman, Aaron Eckhart et Dianne Wiest.

Dans une sensible et juste traduction d’Yves Morin, la pièce raconte le deuil que vivent, chacun à leur façon, les membres d’une famille éprouvée, ainsi que le sentiment de culpabilité qui pèse sur eux depuis les tragiques événements. Et si je n’avais pas détourné mon attention, aurais-je pu empêcher l’accident? Et si je n’avais pas téléphoné à ma sœur? Et si, et si, et si.

Le Terrier, c’est également une poignante histoire d’amour entre un homme et une femme, qui sont devenus trois. Et qui, désormais, doivent réapprendre à n’être que deux. Est-il encore possible de s’aimer quand on est séparés par le fantôme d’un petit garçon?

Photo : Eva-Maude TC.

Photo : Eva-Maude TC.

La mise en scène de Jean-Simon Traversy, sobre, laisse briller la distribution, avec raison. Dans les rôles de Becca et Louis, Sandrine Bisson et Frédéric Blanchette sont bouleversants. Ils expriment cette peine quasi indicible sans jamais tomber dans l’outrance. La douleur nous est racontée avec retenue, ce qui rend les quelques manifestations de colère ou de désespoir de leurs personnages encore plus déchirants.

Dans le rôle de Nathalie, la mère de Becca, Pierrette Robitaille est lumineuse et franchement drôle. Les scènes où elle apparaît sont plus légères, telles de petites parcelles de clarté dans un quotidien devenu sombre et lourd.

Photo : Eva-Maude TC.

Photo : Eva-Maude TC.

Les personnages du Terrier nous racontent leur souffrance sur une scène sous laquelle on retrouve un vaste espace vide et illuminé. Y sont dispersés des souvenirs pêle-mêle de leur regrettée vie de famille : un gâteau d’anniversaire à épais glaçage, un cadeau à l’emballage brillant, des jouets, de minuscules chaussures… Un passé enfoui, mais encore tout près, qui ne demande qu’à refaire surface.

Photo : Eva-Maude TC.

Photo : Eva-Maude TC.

Dans sa chanson Anthem, le poète montréalais Leonard Cohen a écrit : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in. » On ne pourrait mieux décrire les personnages de David Lindsay-Abaire. Bien qu’ils aient sombré dans le désespoir depuis la mort de Danny, tout n’est pas perdu. On ne guérit pas d’une perte aussi immense, mais on peut petit à petit l’apprivoiser.

Pour Becca, Louis et leurs proches, la vie ne sera plus jamais la même. Mais le bonheur est toujours possible. Autrement.

La pièce Le Terrier de David Lindsay-Abaire, mise en scène par Jean-Simon Traversy, est présentée du 1er au 19 novembre 2016 à la Salle Fred-Barry, du Théâtre Denise-Pelletier.

Pour toutes les informations : www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/53

Pour suivre les activités de la compagnie Tableau Noir : www.facebook.com/TN.Tableau.Noir

Le Terrier from Théâtre Denise-Pelletier on Vimeo.