ENTREVUE AVEC LA CRÉATRICE ET INTERPRÈTE DE LA PIÈCE REGARDS
Texte : Karine Tessier
Dans Regards, l’artiste multidisciplinaire Séverine Fontaine raconte la complexe évolution de l’enfant, de sa naissance à son entrée dans l’âge adulte, un processus marqué par les observations, les remises en question, puis les prises de décision. Comme elle l’a fait à maintes reprises avec ses précédents spectacles, la créatrice française y aborde des thèmes comme le regard de l’autre, la différence et la liberté. Rencontre avec une artiste qui milite pour le droit d’être soi.
Quelle a été la genèse de Regards?
Ç’a été un processus. J’ai beaucoup travaillé la question de l’humain dans mes précédents projets, souvent en faisant des entrevues. Pour Un Siècle de mémoires, en 2005, j’ai échangé pendant trois ans avec des personnes âgées en fin de vie. Par la suite, pour Filaments, en 2011, je me suis penchée sur ce qui relie l’humain à sa génération, à ses origines, etc., lui qui est confronté aux grandes questions existentielles. Cette fois, toujours pendant trois ans, j’ai interviewé des personnes âgées et des adolescents. Ces recherches ont été passionnantes, mais très prenantes!
Pendant ma résidence d’écriture à La Chartreuse, en France, j’ai réalisé que c’était le moment de partir de moi, de ma propre histoire. J’étais prête à le faire, avec le recul nécessaire, dans la joie et le partage. Ce n’était pas du tout une psychanalyse ou le règlement de problèmes non réglés! Et l’écriture s’est faite d’une manière assez évidente.
Votre plus récente pièce est donc en partie autobiographique. Est-ce intimidant de se révéler ainsi au public?
Pas du tout! Regards a été écrite avec différents plans de narration, ce qui permet de vivre les émotions du personnage avec une certaine distance. C’est inspiré de ma propre histoire, mais l’interprétation amène un décalage. Et l’écriture est telle que chacun peut s’y reconnaître. Les choses sont nommées de façon très subtile.
Quelle a été la réaction du public qui a vu Regards depuis sa création, en 2013?
Le spectacle a d’abord été joué à La Chartreuse, un petit espace. La réception a été directe, en raison de la proximité, de l’intimité. Ensuite, l’œuvre a été présentée une quarantaine de fois dans différents espaces.
Du début à la fin de l’œuvre, c’est une histoire que je raconte. Un lien très fort se crée avec les spectateurs puisqu’ils sont mes interlocuteurs. Ils ressortent de la salle avec des émotions qui les traversent, puisque nous sommes tous construits avec les regards des autres. Il s’agit d’un thème à portée universelle.
C’est la première fois que la pièce sera montée à l’extérieur de la France. Comment vous sentez-vous à la veille de votre tournée québécoise?
Je suis vraiment heureuse! C’est très excitant!
Ça fait trois ans que je fais des allers-retours entre la France et le Québec. Déjà, en 2014, le texte de Regards a été présenté au public québécois lors du Festival du Jamais Lu. Cet automne, ce sera la première fois que les gens pourront voir l’œuvre finalisée. Ces dernières années, j’ai fait de nombreuses rencontres ici. Alors, ça met une petite pression.
Regards est une création multidisciplinaire. Vos projets sont toujours réalisés avec plusieurs médiums?
Oui, depuis mon tout premier spectacle. J’écris, seule ou en collaboration, les textes, mais également les images, les sons, la musique, les regards des gens… De manière évidente, je visualise la mise en scène, je vois des choses qui, parfois, n’ont pas de texte. Des tableaux. L’ensemble est assez cinématographique. C’est la naissance d’un univers.
Outre les spectacles, je crée aussi des installations lumineuses, numériques. Et j’amène une théâtralité dans ces œuvres, de la poésie, une histoire à raconter.
Depuis quelques années, il est beaucoup question des standards de beauté, de la diversité dans les médias et sur Internet. Regards semble s’inscrire dans ce courant.
Quand le personnage entre dans la phase de l’adolescence, on traite du rapport au corps. La jeune femme se construit, et elle fait des choses malgré elle pour être aimée des autres et des hommes. C’est un sujet dont on parle peu, ça reste un tabou. Mais c’est extrêmement important! Nous sommes conditionnés malgré nous. On nous présente un modèle dans lequel on doit entrer.
Regards, c’est la parole d’une femme sur la différence, la question de la norme. D’abord, qu’est-ce que la norme? Il y a une absurdité dans le fait de concevoir le beau, le laid… Je ne veux pas dévoiler la forme du spectacle. Mais la fin est extrêmement positive, l’énergie qui s’en dégage est assez dynamique. Il existe une façon de se libérer de ces barrières qui nous empêchent de s’assumer comme on est.
Regards, de Séverine Fontaine, est présentée du 12 au 14 octobre au Théâtre Aux Écuries à Montréal. La représentation du 13 octobre sera suivie d’une rencontre-débat organisée en collaboration avec l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques et la revue Liberté, sur le thème « Au risque d’être soi ».
Puis, le spectacle sera à l’affiche le 18 octobre au Théâtre de la Rubrique à Saguenay et le 21 octobre au Théâtre du Bic à Le Bic.
Pour toutes les infos : auxecuries.com/projet/regards