Texte : Karine Tessier
« Dehors, le soleil est le même pour tout le monde. »
Mais ce soleil, le personnage de Ces regards amoureux de garçons altérés ne l’a pas vu depuis 60 heures. Enfermé dans la chambre numéro 158 d’un sauna gai de la métropole, complètement défoncé au crystal meth, le jeune acteur se livre sur ses dépendances à la drogue, au sexe, à son amant Manu. Désormais, il ne s’appartient plus.
Dépossédé de son corps, son outil de travail, il a envie de disparaître. Mais pas totalement. Dans ce confessionnal jonché de vêtements, de préservatifs et de substances illicites, il hurle en quelque sorte un dernier cri du cœur, avant une fin éventuelle, attendue. À moins qu’il survive à cette nuit qui s’étire, encore et encore.
Le monologue écrit et interprété par Éric Noël est rythmé, saccadé. Par moments, la lecture s’apparente à du slam. La poésie urbaine du dramaturge file à vive allure, sans s’arrêter, comme une locomotive se dirigeant vers un mur de briques, en totale perte de contrôle. Une véritable orgie de chairs anonymes, de bad trips, de mots qui atteignent en plein cœur.
Brisé, son personnage nous raconte par bribes ce qu’il a vécu, subi. Ce dont il se rappelle, et qui restera gravé longtemps dans la mémoire de son public. Il confronte les spectateurs à leurs propres désirs de noirceur, de sabotage, de mort. Pendant un peu plus d’une heure, tous sont solidaires, partageant une zone sombre dans laquelle évoluent tous leurs démons.
Repousser ses limites ou jouer sa vie? Défi ou autodestruction? Les paroles d’Éric Noël, aussi sublimes que dures à encaisser, ne font que poser une question on ne peut plus universelle : jusqu’où on peut aller trop loin?
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