CRITIQUE DE ELEPHANT SONG DE CHARLES BINAMÉ
Texte : Véronique Bonacorsi
Depuis son introduction dans la sphère cinématographique avec J’ai tué ma mère, l’étoile de Xavier Dolan ne cesse d’éblouir, grâce au talent pluriel du jeune homme. Avec Elephant Song, thriller psychologique adapté de la pièce de Nicolas Billon, Dolan cède les commandes au réalisateur Charles Binamé (Maurice Richard, Le Piège américain) pour donner vie à l’esprit dominant dans un tête-à-tête angoissant.
La veille d’un Noël des années 1960, la disparition du docteur Lawrence (Colm Feore) suscite l’inquiétude d’un hôpital psychiatrique. On charge le docteur Greene (Bruce Greenwood), un administrateur rarement en contact avec les internés, d’enquêter discrètement sur l’affaire. Il rencontre la dernière personne à avoir vu le docteur Lawrence : Michael (Xavier Dolan), un jeune troublé, obsédé par les éléphants. Malgré les avertissements de l’infirmière Peterson (Catherine Keener), le docteur Greene se laisse entraîner dans un jeu de mensonges tout à l’avantage du patient. Une joute mentale, dévoilée grâce à un emboîtement narratif, qui révélera les maux profonds des protagonistes, pour culminer en une fin douce-amère.
C’est dans le cadre d’un cours à l’Université Concordia que Nicolas Billon écrit une version embryonnaire pour The Elephant Song. En 2004, la pièce est mise en scène pour la première fois au Stratford Festival, puis à Montréal trois ans plus tard, et connaît même du succès jusqu’à Paris. Attiré d’abord par le théâtre pour sa double nature publique et intime, Billon signe un premier scénario de long métrage avec l’adaptation de son propre récit.
Selon Charles Binamé, il s’agit d’un « pur hasard » si le cinéaste québécois d’origine belge s’est retrouvé à réaliser Elephant Song. Ayant vu la pièce il y a neuf ans, Binamé savait qu’il aurait à travailler en collaboration avec l’auteur pour atténuer le « trop » théâtral de l’œuvre, afin de réussir la transition au grand écran, visuellement beaucoup plus proche du spectateur.
Le réalisateur, s’il ne répète pas les scènes, se fait un plaisir de travailler en profondeur les profils et les motivations des personnages avec leurs interprètes. Avec Xavier Dolan, qui incarne le pivot de l’histoire, ils se sont attardés à construire un être complexe, aussi fort que fragile, prenant soin à ce que l’arc psychologique de Michael ne tombe pas dans les pièges faciles associés à un personnage avec des troubles mentaux. Une transformation réussie : Dolan, dans son premier rôle principal en anglais, offre une prestation subtilement émouvante à travers la psyché brisée et les manigances parfois sournoises de son protagoniste.
Malgré l’habileté de la réalisation, la dévotion des acteurs et des dialogues plutôt brillants, on ne ressort pas entièrement satisfait du visionnement de Elephant Song. Le film agit comme une bulle qui passe devant nos yeux sans qu’on ressente les échos de sa présence. Le duel entre Michael et le docteur Greene apparaît clairement injuste dès le départ, et le spectateur attend un revirement de situation, une réplique de Greene qui ne vient jamais.
La beauté dans la tristesse inhérente des personnages et les jeux de langage ne parviennent pas tout à fait à justifier la nécessité de ce film dans l’histoire du cinéma. Pourquoi ce choix spatio-temporel précis s’il n’engendre pas de réflexion sociale ou politique? Oui, les idées de l’homosexualité ou de la négligence des parents constituent sûrement des tabous pour l’époque. Mais il semble que, sans message précis, la chanson de l’éléphant sera vite oubliée une fois les yeux fermés.
Elephant Song a été tourné à Montréal, en Afrique du Sud et à Cuba, et regroupe une distribution majoritairement canadienne. La première a eu lieu au Festival international du film de Toronto. Le long métrage s’est mérité deux nominations aux prix Écrans canadiens : Interprétation masculine dans un premier rôle pour Bruce Greenwood et Meilleure adaptation pour Nicolas Billon, un trophée remporté par l’auteur.
Elephant Song est disponible en DVD depuis le 2 juin 2015.