CRITIQUE DE KNIGHT OF CUPS DE TERRENCE MALICK
Texte : Véronique Bonacorsi
Suis-je toujours en train de rêver? La question se pose lorsqu’on se trouve confronté au portrait impressionniste de Knight of Cups, la plus récente plongée cinématographique de l’énigmatique Terrence Malick. Le créateur de The Tree of Life et The New World pousse ici à son paroxysme son style surréaliste incomparable pour attirer le spectateur dans un voyage introspectif.
Même s’il a atteint le plus grand succès dans sa carrière de scénariste, se vautrant dans les plaisirs matériels et charnels, Rick (Christian Bale) se voit tourmenté par un vide identitaire. Le « Cavalier de coupe » déambule dans une Los Angeles aux allures mystiques, mais avant-gardistes, avec un interlude à Las Vegas, perdu dans ses souvenirs, ses désirs et ses regrets. Dans son épopée intérieure, des figures-clés tantôt le hantent, tantôt le tentent. L’indocile Della (Imogen Poots). Son frère troublé Barry (Wes Bentley) et son père vieillissant (Brian Dennehy). Son ex-femme Nancy (Cate Blanchett). Le mannequin Helen (Freida Pinto). Une amante non disponible, Elizabeth (Natalie Portman). La strip-teaseuse libre d’esprit Karen (Teresa Palmer). Et Isabel (Isabel Lucas), une lueur d’espoir. Grâce à ces présences, Rick tente de s’actualiser dans la réalité.
Résumer noir sur blanc Knight of Cups constitue sans doute la manière la plus organisée de présenter le film. Il faut savoir que Terrence Malick ne travaille pas avec un scénario : il fournit à ses artisans des textes de « monologues » ou pensées pour ses personnages, suggérant aussi des lectures connexes. Ce faisant, le cinéaste guide ses acteurs dans leur improvisation, espérant capturer l’essence la plus pure des protagonistes. Et ce long métrage, contrairement, par exemple, à The Thin Red Line de Malick il y a presque 20 ans, ne suit pas d’intrigue précise. La division par chapitres – chacun portant le nom d’une carte de tarot pour l’introduction d’une nouvelle personne dans la vie de Rick – sert plus à montrer une facette symbolique de notre héros qu’à nous éclairer sur la chronologie de possibles événements.
On peut supposer que cette narration complètement éclatée génère une certaine pression sur la performance des acteurs. Bien que la présence de Christian Bale soit indéniable, difficile de juger de ses prouesses puisque Rick a peu à faire ou à dire à l’écran. En fait, on ne l’entend que rarement prononcer des mots en dehors de sa voix hors champ, qui vient ponctuer les scènes comme un murmure de son esprit. La tâche incombait donc aux interprètes de soutien de révéler les profondeurs de ce témoin passif devant sa propre vie.
Parmi les personnages en orbite du « Cavalier » se succèdent une ribambelle de femmes, plus splendides les unes que les autres. Certains pourraient voir un problème de représentation de la féminité dans Knight of Cups, déplorant leur manque de dimensions. Or, il apparaît clair que Malick cherchait à explorer les archétypes féminins, humains, afin de composer son protagoniste central. Ces personnages nous sont montrés tels que Rick les perçoit. D’ailleurs, rien n’assure qu’ils existent en dehors de son imaginaire. Cela dit, notons des performances remarquables de la part d’Imogen Poots dans le rôle de Della, la jeune femme non conventionnelle au look de rocker, et surtout de Cate Blanchett, qui incarne l’ex-épouse chagrinée Nancy. Cette dernière semble même la seule réelle présence féminine tridimensionnelle, qui pourrait exister indépendamment de l’univers de Rick.
Ce spectacle ésotérique contemporain de la dernière œuvre de Malick est exacerbé par les images époustouflantes de son collaborateur récurrent à la cinématographie, Emmanuel « Chivo » Lubezki, qui a remporté l’Oscar de la meilleure direction photo ces trois dernières années pour Gravity de Alfonso Cuarón, ainsi que Birdman et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Utilisant une multitude de lentilles et de types de caméra, dont une GoPro attachée à Bale dans une incursion aquatique, Lubezki offre ici une collection particulièrement merveilleuse et unique de Los Angeles. Oui, on y retrouve les excès de la fortune qui caractérisent Hollywood, et dans lesquels Rick trouve réconfort. On nous montre aussi le côté plus brut et sauvage de la ville, par ses déserts tranquilles, son océan immense.
Knight of Cups s’apparente ainsi beaucoup plus à une pièce d’art abstraite ou à un poème qu’à une œuvre de cinéma. La vie de Rick se déchaîne devant nos yeux comme des vagues, jouant avec les plans instables, des superpositions de voix et de couleurs, une chorégraphie de gestes envoûtante… Si le public ne ressort pas nécessairement ému de son périple mystique, impossible de nier son intensité réflexive ou sa beauté artistique.
La première de Knight of Cups de Terrence Malick a eu lieu au Festival international du film de Berlin en 2015. Le long métrage est à l’affiche au Québec depuis le 18 mars 2016.
Site Web officiel du film : www.theknightofcupsmovie.com