CRITIQUE DE TRUMBO DE JAY ROACH
Texte : Véronique Bonacorsi
Scénariste prolifique, Dalton Trumbo n’était pourtant pas populaire auprès de l’élite hollywoodienne pour ses idées politiques. Le film de Jay Roach accorde désormais la vie éternelle à une figure de l’histoire cinématographique américaine que Hollywood a jadis tenté de faire taire.
Suite aux périodes de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale, la crainte du communisme règne chez les studios de cinéma américains. Cette paranoïa les pousse à persécuter et à emprisonner, pour un an, les artistes soupçonnés d’affiliation au parti. Considéré l’homme le plus radical de cette liste noire – le « Hollywood Ten » –, Dalton Trumbo (Bryan Cranston) refuse de se laisser intimider. Ainsi, suite à son incarcération, Trumbo réussit à signer un nombre impressionnant de scénarios sous des pseudonymes, lui valant en cours de route quelques prestigieux oscars, mais aussi des ennemis anticommunistes influents et des tensions au sein de ses relations familiales.
Le scandale de Dalton Trumbo et du « Hollywood Ten » constitue une saga méconnue du grand public et même des artisans de la sphère cinématographique, à commencer par le scénariste de Trumbo lui-même, John McNamara. Lorsqu’il apprend que son ami Ian McLellan Hunter n’a pas écrit le célèbre Roman Holiday, et qui en est son véritable auteur, McNamara entreprend l’adaptation de la biographie du controversé scénariste, écrite par Bruce Cook. Le but : exposer à un plus large public le drame de l’homme derrière le cirque médiatique.
Entre en scène le réalisateur Jay Roach, qui doit la majeure partie de son succès aux populaires franchises Austin Powers et Meet the Parents, ainsi qu’à Game Change, portant sur le phénomène de Sarah Palin durant la campagne présidentielle de 2008. Roach possédait donc à la fois la qualité de rendre accessible l’histoire de Dalton Trumbo et l’expérience de la mise en scène de faits réels. Pour Trumbo, le cinéaste a choisi de complémenter le ton d’un scénario intelligent, sérieux et drôle – les piques de fin de scène sont particulièrement amusantes – entre autres par la recréation d’archives des procès, mettant bien en contexte toute l’ampleur des événements. La rapidité de l’enchaînement des scènes s’avère appréciable, mais elle souligne d’autant plus le problème de beaucoup de films biographiques : le désir de couvrir tous les aspects de la vie d’un individu en moins de deux heures. Trumbo demeure néanmoins divertissant.
Au coeur de ce spectacle se retrouve Bryan Cranston. Ceux qui ont vu la série télévisée Breaking Bad savent que l’acteur est passé maître dans l’art de rendre sympathique un personnage antagonique. Cranston, nommé aux derniers Oscars et Golden Globes pour ce rôle, éblouit dans son interprétation de Dalton Trumbo, disparaissant dans l’âme de son alter ego sans jamais tomber dans la caricature. Ce qui aurait pourtant pu être facile, vu certains éléments plutôt ridicules du sujet, tels que son habitude de travailler à sa machine à écrire plusieurs heures par jour dans son bain. Cranston fait preuve d’un habile jeu de nuances pour incarner le paradoxe de cet écrivain acharné, riche célébrité, communiste autoproclamé et défenseur du plus faible.
Les acteurs des protagonistes de second plan devaient se rendre à l’évidence : ils ne servaient que d’instruments à la brillance du jeu de leur leader. Helen Mirren, dans le rôle de la chroniqueuse Hedda Hopper, offre – sans surprise – une excellente performance de « vilain ». Par son personnage de Arlen Hird, un composite de différents noms sur la liste noire, Louis C.K. apporte une touche bienvenue d’humour et de réalisme. Et Elle Fanning émeut par son innocence et impressionne par son interprétation farouche de Nikola, la fille aînée de la famille Trumbo.
Non seulement Trumbo raconte une tranche importante de l’histoire de Hollywood, mais il possède une résonance sociale encore pertinente de nos jours. En 2016, dans un monde où la terreur tente d’éclipser la liberté d’expression, le petit homme se bat toujours pour le droit à ses opinions. Le combat de Dalton Trumbo nous rappelle la fragilité de la démocratie. L’influence des mots fera toujours peur à ceux qui n’en comprennent pas le sens. Ce film inspire le courage de ne pas laisser gagner le silence.
Trumbo de Jay Roach est disponible en DVD depuis le 16 février.
Site Web officiel du film : www.trumbomovie.com