CRITIQUE DE LE PAS DE LA PORTE DE KARINE VAN AMERINGEN ET IPHIGÉNIE MARCOUX-FORTIER
Texte : Véronique Bonacorsi
La mort. Le trépas. Le dernier passage. Autant d’expressions pour désigner la chose essentiellement commune à toute existence humaine. Mais avant que tout s’arrête, chacun apprivoise à sa manière la fin, donnant lieu parfois à des rituels en marge de l’effrayante industrie grandissante de la mort. Le tandem de documentaristes Karine Van Ameringen et Iphigénie Marcoux-Fortier explore quelques-uns de ces sentiers incongrus dans Le Pas de la porte. Discours intime sur la préparation pour le plus grand inconnu.
Comment l’envie de parler d’un thème si tabou naît-elle? En 2003, alors qu’elles tournaient leur premier film au Mexique, le duo de scénaristes-réalisatrices a pu assister à de traditionnelles funérailles mexicaines. Un véritable choc culturel : loin des coutumes sobres et mélancoliques, ce moment de commémoration prend la forme d’une fête. Dans une atmosphère enjouée, on célèbre nos défunts, on mange sur leur tombe… Là-bas, on embrasse l’aboutissement de la vie.
Et s’il existait aussi chez nous des approches de prime abord inusitées? Ou sommes-nous tous tombés dans le standard de la mort « prête à porter »? Comment vit-on la fin? S’ensuit le tourbillon infini de questions qui incombe le sujet.
Dans des régions plus décentrées de la province, quatre histoires nous amènent à réfléchir sur le grand potentiel mortuaire que possèdent les Québécois. On fait connaissance avec Gilles et Gaétane, un couple propriétaire d’un salon mortuaire familial qu’il s’apprête à vendre. Avec Lucienne, une femme approchant de ses 80 ans, qui prépare ses préarrangements funéraires avec une relative bonne humeur. Puis, nous accompagnons Diane Huguette dans son processus de fabrication de son propre cercueil, aidée de ses proches. Enfin, Nadia doit naviguer à travers les responsabilités et les émotions qu’engendre la perte de sa mère, sans oublier ses devoirs familiaux.
Grâce au documentaire Le Pas de la porte, le spectateur découvre des protagonistes, tout simples, dont le rapport avec l’inévitable trépas peut sembler surprenant. Leurs rituels, non conformes à ceux de l’industrie, nous révèlent les possibilités alternatives qui s’offrent à nous. Tandis que les personnages partagent ces moments uniques, Van Ameringen et Marcoux-Fortier nous proposent une suite de tableaux de vie dans lesquels on dévoile la normalité dans leurs approches. À travers la réalisation et la cinématographie se dégage un regard serein sur un sujet souvent nié. L’absence de musique extradiégétique – un choix judicieux – permet au public de ressentir la tristesse inhérente de la chose, mais sans effrayer ou angoisser. Les scènes d’archives personnelles soulignent d’autant plus la véracité fascinante des instants poignants d’intimité.
Karine Van Ameringen et Iphigénie Marcoux-Fortier réussissent ici à désamorcer quelque peu les craintes face à la mort, car elles plongent dans ses douleurs, sa spiritualité. Cette coréalisation, qui a pris cinq ans à se construire, nous montre que le sujet mérite d’être discuté plutôt qu’évité. Comme quoi la mort n’a pas nécessairement à se vivre en solitaire.
Récipiendaire du Prix du public Télé-Québec, Le Pas de la porte a été projeté aux Rendez-vous du cinéma québécois, ainsi qu’au Festival de cinéma de la ville de Québec. Le documentaire long métrage est maintenant disponible en DVD sur le site Internet de Vidéo Femmes.
Site Web officiel du film : www.lesglaneuses.org/lepasdelaporte
Cela porte à réfléchir!