Texte : Véronique Bonacorsi

Je ne suis pas blonde. Ni Blanche. Je n’ai pas grandi dans les riches banlieues californiennes comme Barbara Millicent Roberts (alias Barbie). Pourtant, la vague culturelle provoquée par le prochain film qui semble envahir la planète en entier m’a fait réaliser que… j’étais Barbie.
Ce jouet américain né à la fin des années 1950, incontournable de mon enfance, a joué un rôle vital dans le fleurissement de ma personnalité. Barbie faisait partie du quotidien de toutes les filles de mon âge qui m’entouraient et je n’ai pas su résister à la fièvre rose et blonde (la plupart du temps). Avec un plaisir parfois obsessif, je l’habillais, la déshabillais, un peu gênée par son corps nu pas totalement sexué. Je l’envoyais à des rendez-vous galants avec Ken (lire ici : je les tenais côte à côte dans des tenues assorties) sans comprendre encore les complexités relationnelles. Je la faisais relaxer dans sa luxueuse maison de rêve, dont l’hypothèque, si elle existait dans la vraie vie, ferait frissonner la femme que je suis aujourd’hui. (Sans doute que l’ajout d’un toboggan partant de la chambre à coucher fait exploser la valeur immobilière.) Et par toutes ces actions ludiques, enfantines, j’ai absorbé l’essence même de ma poupée.

Sans surprise, Barbie a longtemps été perçue comme un simple divertissement réservé aux petites filles : elle est jolie, elle a plein de vêtements et, oui, c’est une fille. Donc, un peu comme une arrière-pensée, mes parents ont gonflé peu à peu ma collection d’une variété de déclinaisons : Barbie princesse, Barbie popstar, Barbie de Noël… Je crois même avoir eu une Barbie « chinoise » qui m’a enfin fait sentir : « Enfin, une Barbie comme moi! » (Je ne suis pas exactement chinoise.)

Derrière ce que l’on perçoit comme un symbole de frivolité – mot trop souvent associé à tout ce qui se rapporte au féminin –, je vois un univers d’optimisme et de possibilités. Barbie peut être une patineuse olympique. Elle peut aussi être une sirène, une infirmière, une golfeuse, la fée des dents! Ou juste porter une belle robe. Barbie peut tout faire, tout être. Y a-t-il donc une icône plus féministe?

Juste en lisant les noms de l’équipe du long métrage, je comprends que le même esprit habite l’œuvre de Greta Gerwig. La réalisatrice et longtemps actrice est aussi la coscénariste du film. La vedette de Barbie, Margot Robbie, plus qu’un joli visage, remplit le rôle de productrice. Robbie, avec sa maison de production, LuckyChap, a poussé pendant des années la compagnie de jouets Mattel et toutes les différentes hautes instances pour la création de la version cinématographique de la poupée légendaire. L’actrice Issa Rae, qui incarne la Barbie présidente – rien de moins –, a créé, scénarisé, réalisé la série applaudie Insecure, dans laquelle elle tenait le rôle principal. Toutes des femmes et cerveaux créatifs devant comme derrière la caméra.

J’ai plus que hâte de voir ce que nous réserve l’événement cinéma de l’été. La campagne publicitaire promet déjà une aventure visuellement époustouflante, nostalgique, très fidèle à l’esthétique du jouet au fil du temps. Pour le look, je suis déjà complètement séduite (et les nombreux tapis rouges pour la tournée de presse ne font que mousser mon obsession).

Une fébrilité m’habite quant au traitement de l’effet polarisant de Barbie. Juste point de vue diversité, on ne peut pas dire que la poupée présente une fiche de sensibilité exemplaire. America Ferrera, qui joue le rôle d’une personne humaine dans Barbie, a elle-même vécu des problèmes d’identification à cette belle fille blonde caucasienne en grandissant. Mais la poupée s’adapte de plus en plus à l’ère du temps, reflète plus le monde réel qu’elle a pu le faire dans ses tout débuts. Et on décèle cette même volonté dans les bandes-annonces du film. La distribution regroupe des Barbie et des Ken de toutes les natures, de corps, d’origine et même de sexe. Juste la présence de Hari Nef, actrice et mannequin transgenre, est un bon signe de l’ouverture d’esprit du film.
Je sais, on dirait que j’ai été payée par Margot Robbie pour écrire une critique favorable de Barbie. J’aurais aimé. (Call me, Margot!) Le fait que j’écrive ces lignes constitue la preuve de la durabilité de ma fièvre rose de petite fille.
C’est quand j’ai lu l’article « Hello, Barbie! » dans le magazine Vogue que ma révélation est venue. Une citation de la costumière du film, Jacqueline Durran : « The key thing about Barbie is that she dresses with intention. » Hmm, qui d’autre fait ça? Eh bien… moi.
Mon entourage sait à quel point je m’applique dans mes tenues – je ne porte jamais ou rarement la même. Oui, j’ai une garde-robe folle et j’en retire une amusante fierté. Mon style s’adapte aux tâches à accomplir, l’environnement, la météo… et les agencements de couleurs reflètent mon « moi » à ce moment. Certaines occasions me poussent à réfléchir à ce que je vais mettre des semaines à l’avance. Le Toqué entre filles? J’ai la robe pour ça! Je vais prendre le temps de bien la choisir, par contre. Mais le plus souvent, j’agence naturellement mes ensembles en 20 minutes et moins.

Je me souviens d’être sortie dans un restaurant cubain avec une amie. Avant la soirée, je l’avais invitée à « s’habiller pour l’occasion », donc de se laisser inspirer par tout ce qui peut représenter l’ambiance d’un resto cubain selon elle. Elle m’avait répondu ne pas vouloir se déguiser. Curieux comme commentaire, ai-je pensé. Je ne crois pas qu’à la place de cette amie, Barbie aurait refusé cette opportunité de laisser libre cours à son imaginaire vestimentaire.
Et parce que Barbie peut tout faire, toutes les activités, tous les métiers, sa garde-robe contient tout, et encore plus. Elle n’est pas une seule chose. Elle est toutes les choses.
Je porte des robes et je regarde le hockey. J’aime les films de David Lynch, mais aussi les superhéros de Marvel. Je lis Jacques Lacan, comme le ELLE Québec. On n’a pas à se limiter.
Je suis Barbie. Tu l’es sûrement aussi.












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