CRITIQUE DU FILM BOYHOOD DE RICHARD LINKLATER

Texte : Véronique Bonacorsi

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« Que feras-tu les 12 prochaines années? » Voilà de quelle façon déconcertante le réalisateur Richard Linklater approcha ses potentiels collaborateurs pour un ambitieux projet cinématographique. Une folle proposition, une épreuve de patience… et, aujourd’hui, un film touchant où le vrai héros est la vie elle-même.

L’histoire de Mason (Ellar Coltrane), c’est plus que le simple récit du passage à l’âge adulte d’un petit garçon rêveur. C’est aussi les communs épisodes de dispute avec sa sœur, Samantha (Lorelei Linklater, la fille du réalisateur), bonne élève, soucieuse de plaire. C’est sa relation avec ses parents divorcés : Olivia (Patricia Arquette), l’ancre de la famille, qui a la pire chance en amour, et Mason senior (Ethan Hawke), ludique mais impliqué, malgré qu’il voie ses enfants à intervalles irréguliers. Ainsi, nous sommes témoins de ce portrait de famille, évoluant sur plus d’une décennie, à travers le regard de Mason junior.

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Certes, on peut qualifier Richard Linklater de visionnaire pour avoir imaginé un projet de si longue haleine, jamais tenté auparavant en cinéma de fiction. Il ne faut cependant pas croire que l’Américain avait prévu chaque dialogue et tournure de Boyhood  dès 2002. En fait, seul le facteur de temps apparaissait clair (le film fut baptisé au départ The Untitled 12 Year Project) dans l’esprit du réalisateur et scénariste. Pour créer son personnage central, de ses six ans jusqu’à ses 18 ans, Linklater a dû réunir toute son équipe pour une semaine chaque été, à la manière d’un camp de jour.  Le processus de création s’est fait de manière organique, résultant en une authenticité du produit inatteignable si on avait eu recours au maquillage et aux effets spéciaux.

L’acteur principal, Ellar Coltrane, aujourd’hui âgé de 19 ans, constitue indiscutablement un ingrédient-clé du succès de l’œuvre. Comme ses compagnons du grand écran, son jeu d’acteur apparaît naturel, même si échelonné sur une période de tournage incroyable. Probablement parce que la propre vie de Coltrane a influencé le parcours de son personnage de Boyhood. Linklater a d’ailleurs affirmé en entrevue s’être inspiré de la personnalité nonchalante et délicatement mystérieuse de sa vedette, ainsi que de ses intérêts. Parmi ceux-ci : la passion pour la photographie. La dimension photographique s’applique d’ailleurs à la structure du film. On penserait parcourir l’album-souvenir des protagonistes, dont les clichés ont été pris par l’appareil photo que sont les yeux de Mason. Tandis que les images des différentes périodes de sa jeunesse se succèdent, que le temps laisse ses empreintes corporelles sur les personnages, nous sommes quelque peu surpris, mais émus, de voir le garçon grandir, et les adultes (les toujours très beaux Arquette et Hawke) vieillir.

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En plus des traces physiques, le scénario de Boyhood offre des indices historiques et culturels emblématiques du début des années 2000 aux États-Unis. Cela facilite les transitions d’année en année;  les nombreuses ellipses ne dérangent pas. Une année, Mason senior se lance dans une critique du gouvernement de George W. Bush; plus tard, il entraîne ses enfants dans la campagne pro-Obama. Un moment, le jeune Mason joue avec son Game Boy; quelques années après, il se plaint de l’obsession nationale qu’est devenu Facebook. Quant à la trame sonore, tant intra qu’extradiégétique, elle met parfaitement en valeur l’époque en question. Coldplay, Britney Spears et The Black Keys, entre autres, contribuent tous à situer le spectateur et à générer l’émotion appropriée. Parfois, une référence musicale agit en tant que miroir pour l’univers mis en scène devant nos yeux. La scène où le père explique son amour pour la chanson Hate It Here de Wilco est éloquente. La simplicité des paroles, le quotidien rempli de précis petits détails, la lutte constante de la vie… Ce même côté pur, nu, qu’on retrouve dans Boyhood rend l’œuvre d’autant plus poignante.

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Le passage à l’âge adulte constitue un thème récurrent du cinéma américain. Mais Linklater a choisi de ne pas raconter des histoires de premières fois, typiques des films abordant ce thème. Par exemple, on ne voit pas Mason perdre sa virginité, mais plutôt la jouer cool devant ses amis, autour d’une bière, qui prétendent avoir de nombreuses aventures sexuelles.

Autre particularité : il n’y a pas de catastrophe ou d’élément déclencheur clair du récit. Un exploit admirable, car l’écran nous captive et on oublie que le film dure près de trois heures. Il est vrai que notre curiosité veut automatiquement que certains éléments de l’histoire soient plus développés. Or, Boyhood possède le mérite d’arriver à montrer l’émotion brute, qui survient à l’instant même, pour dépeindre une fresque à la fois particulière et générale. Cette œuvre fait plus qu’aborder le questionnement tumultueux de l’existence humaine, elle le vit. L’être humain ne suit pas un chemin tracé. Il fait de son mieux pour traverser les différentes épreuves qui se présentent à lui.

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Impossible, donc, d’ignorer la valeur de Boyhood. Déjà récipiendaires de plusieurs prix de festivals, dont les grands honneurs au Berlin International Film Festival, Richard Linklater et son œuvre prouvent que la patience peut être récompensée. Le courageux réalisateur a su donner une malléabilité au temps, son complice pour sa trilogie des Before, sans dénaturer son caractère furtif. Le dosage s’avère heureux, le film coule bien. Oui, le processus de création peut paraître plus impressionnant que l’histoire en tant que telle. Mais la nouveauté se crée grâce à l’approche intimiste du projet. Boyhood, c’est la somme des petites choses qui composent la jeunesse. Un spectacle d’une simplicité grandiose.

Boyhood de Richard Linklater, d’abord projeté en première québécoise au Festival international de films Fantasia à Montréal, est à l’affiche au Québec depuis le 25 juillet 2014.

Site Web officiel du film : boyhoodmovie.tumblr.com/

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